Ash avait été collant pendant des jours, après ça. Je ne pouvais pas faire un seul pas sans qu’il ne me suive. Pas prononcer un seul mot sans qu’il n’écoute. Il surveillait les alentours comme un lion s’assurerait qu’aucun prédateur ne s’approcherait de sa proie. Je vivais chez lui à présent, sa mère étant très peu présente à cause de son travail et son père vivant à San Francisco. Il n’avait pas de lit double dans sa chambre, alors on avait posé un matelas dans le bureau et on dormait ensemble, sous de fins draps, avec la fenêtre ouverte pour laisser passer la fraîcheur nocturne. Une fois, je m’étais réveillée un peu plus tard que lui, et j’avais entendu sa conversation avec Luke dans le salon. Il y avait eu des bruits métalliques, puis des mentions de balles et de calibres. Le grand-père de Luke s’était pris de passion pour les armes à feu et à sa mort, ses parents en avaient hérité plus d’une vingtaine. Alors ce n’était pas la disparition d’une qui allait se voir. Mais même si Ash essayait de faire son méchant en menaçant de tuer Connor, il n’aurait pas les couilles pour appuyer sur la gâchette. C’est ce qui me consolait un peu.
Bella appela une fois, pour savoir comment j’allais. Je lui parlai un peu de tout sans mentionner l’important, exprimai le fait que Joyce m’avait donné de l’argent pour acheter des vêtements mais que je n’avais aucune voiture pour me rendre dans un centre commercial, le plus près se trouvant à cinquante kilomètres. Il y avait bien des magasins de vêtements à Lonesome, mais c’était si vieillot que même sans être d’un goût difficile, gaspiller de l’argent dans ça faisait mal au cœur. Alors elle me proposa de m’emmener à Los Angeles, qui se trouvait à trois heures de route. J’acceptai aussitôt mais n’en parlai pas à Ash. Il serait capable de me retenir ici contre mon gré. Le nom “Hustings” réveillait en lui une colère des plus sourdes.
Joyce était rentré deux jours auparavant, prétextant devoir s’occuper du chien de son voisin. Il m’avait demandé de le tenir au courant des événements. J’avais travaillé deux jours d’affilée chez Gorgie, complétant la petite somme qui s’entassait sur la commode du bureau. Le mercredi, à quatorze heures comme prévu, je retrouvai Bella devant le cinéma et m’engouffrai dans sa voiture. On roula trois heures avec le toit déplié, les lunettes sur le nez et les cheveux virevoltants. Je chantai Girls On the Beach à vive voix, savourant la caresse du soleil sur ma peau, la sensation de mes doigts dans le vent. Avais-je besoin de plus ? Non. Si le Paradis avait cette saveur d’été, cette odeur de ferraille chaude et d’herbe cramée, alors je ne demandais rien de plus. Bella souriait devant mon exaltation.
On se gara devant le centre commercial le plus en périphérie de la ville. Entrer dans cet immense bordel citadin demandait le temps et le courage que nous n’avions pas. Je passai devant les vitrines en dévorant du regard les jupes plissées, les tee-shirts remontants, d’autres plus souples avec de larges manches, puis des shorts de différentes couleur : orange, rouge, en jean, orange avec des fleurs, bleus, il y en avait pour tous les goûts. J’en essayai quelques uns, m’admirai dans le miroir avec des robes à points, des foulards de toutes sortes, changeai de tenues toutes les deux minutes sans jamais me satisfaire. Bella récupérait les articles selon mes demandes, me donnait des nouveautés en me disant “essaie, ça t’ira bien”. Des couleurs variées, motifs variés également. J’achetai plusieurs chemises à nouer, des shorts moulants, des bikinis fluos, jupes en jean, foulards, sneakers, talons aiguilles, boucles d’oreille et, avec ce qui me restait d’argent, du maquillage. À la fin de la journée, j’étais épuisée et il était vingt-heures. Néanmoins, j’avais passé la plus belle après-midi de toute ma vie. Sans penser argent, ni première nécessité. Seulement au plaisir.
Le coffre rempli de vêtements, Bella s’arrêta face à une pizzéria et emporta deux pizzas aux quatres fromages. Puis elle s’arrêta devant un motel, annonçant qu’on y dormirait pour la nuit. Il était trop tard pour rentrer à Lonesome.
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Lonesome Town
General FictionTout le monde connaissait la fameuse Lonesome Town de Ricky Nelson, sa chanson de coeurs brisés et de rêves perdus, mais personne ne connaissait l'existence du réel Lonesome Town. Un village perdu dans la vieille Californie où la vie se résumait à d...