Chapitre VIII. Ici, oú l'enfer à commencer

95 10 10
                                    


Si la vie peut vous priver d'une personne
Que vous n'auriez jamais imaginé perdre,
Elle peut la remplacer par quelqu'un
Que vous n'auriez jamais rêvé de Rencontrer.

Rachel Wolchin

Rye, 15h28.

Sept ans. Sept longues années se sont écoulées depuis ma dernière visite à Rye, le village où habitait ma famille. La dernière fois fut pour les enterrer. Je suis resté dans ma voiture, observant cette horrible scène au loin dont je me sentais terriblement coupable. Voir les regards pleins de tristesse des autres invités présents était une idée insupportable pour moi alors une fois de plus j'ai choisi de faire le lâche plutôt que d'affronter la réalité.
Je me promène dans les rues, le vent dans les cheveux, les feuilles orange craquant sous mes pieds, accompagné d'un bruit satisfaisant se dérobant sous mes pas. J'ai mal mais respirer l'air pur de Rye me fait du bien. Même si j'y vais à reculons, j'ai décidé de me rendre ici pour leur rendre visite et je ne me dégonflerais pas cette fois. Je suis monté dans un taxi pour Rye au moins une vingtaine de fois après l'accident mais j'ai fini par faire demi-tour à chaque fois avant de complètement abandonner. Agapé, tu m'en donne la force par je ne sais quel moyen mais tu le fais. Je ne t'ai jamais vu, je ne sais qui tu es mais j'ai comme cette impression que tu me protège. Avec tes mots, j'ai l'impression d'être capable de tout à présent, je pourrais soulever des montages, réécrire les étoiles ou bien construire cette maison pour monsieur Clifton. Je m'en sens capable plus que jamais. Je pousse la porte grinçante du cimetière et y pénètre. Je déambule en ayant l'impression d'être l'un des leurs, un fantôme. J'hésite à plusieurs reprises mais à chaque fois je pense à toi Agapé et je retrouve la force d'avancer. Devant la sépulture rouillée de ma famille je m'assois.

-Maman, Alba, Roméo, Emmy, je suis rentré. Dis-je avec un nœud fait de mes cordes vocales m'empêchant de parler correctement.

Je ferme les yeux me faisant violence pour ne pas fondre en larme mais toute cette douleur emmagasinée depuis toutes ces années ne demandent qu'à être libérer. Alors je pleure. Je pleure si fort que les morts du cimetière pourraient presque ressusciter. J'ai si mal. Voir leur tombe, noires, salles, sans fleurs sans rien me brise le cœur et je m'en veux abominablement encore une fois. Je m'en veux de m'être défilé à chaque fois et de ne pas m'être occupé d'eux, je les ai abandonnés comme ce soir-là. La mort laisse une peine qui ne peut jamais guérir, elle prend un morceau de toi, de ta vie, une pièce d'un puzzle qui est inachevable. Mais je sais qu'ils vivent au plus profond de moi, au fond de mon cœur et pour ça je n'ai qu'à fermer les yeux.

-Pardonnez-moi ! Pardonnez-moi, pardonnez-moi, pardonnez-moi ! Sangloté-je comme une enfant qui vient de tomber de son vélo et de s'écorcher le genou. J'aimerais ne m'être que blessé physiquement mais la douleur émotionnelle est bien pire.

-Je ne suis qu'un lâche ! Je regrette toute ces années ou je ne me suis pas occupé de vous, je regrette de ne m'être pas présenter à votre enterrement, je regrette d'avoir fermé cette fichue porte ce soir-là, je regrette d'avoir voulu poser des fenêtres en plexiglass au lieu de simple fenêtre, je regrette tellement de chose ! Je m'en veux même de souffrir alors que je ne devrais pas car moi je suis en vie. Je vous ai fait tant de mal.

Je me déchaîne en lâchant tout ce que j'ai sur le cœur depuis si longtemps. Des gouttes glacées descendent du ciel de plus en plus, me mouillant de la tête au pied. Je ne bouge pas. La tête baissée, je ne parle pas, attendant que l'averse passe, faisant mon deuil pour de bon. Les minutes passent, la pluie tombe, glisse sur mes cheveux bruns, ruisselant sur mon visage se confondant avec mes larmes. A ce moment précis, je me sens vide, j'ai l'impression que je ne pourrais plus jamais rien ressentir. Cette chose qu'est la mort, a le don pour remporter fatalement tous ses combats contre l'existence et elle est la seule à pouvoir éteindre la flamme de l'espoir. Mais alors que mes idées noires refont surface, un brin de soleil se jette sur mon visage, me réchauffant les joues. L'averse est passée sans que je ne m'en rende compte. Un bruit de craquement venant de ma poche de veston me chatouille l'oreille. J'en sors un papier et le déplie.

« Ma mère est morte en me donnant la vie. Je n'ai jamais pu la voir, connaitre l'incroyable femme qu'elle était car je l'ai tué. J'ai ce fardeau sur les épaules depuis ma naissance et je ne peux cesser de m'en vouloir. Un jour en lisant un livre de Guy de Maupassant un passage m'a heurté il disait ; qu'on aime sa mère presque sans le savoir, et on ne s'aperçoit de toute la profondeur des racines de cet amour qu'au moment de la séparation. J'ai pleuré pendant des heures. Je ne l'ai jamais connu mais elle a toujours été là. Toute ces années, je n'ai cessé de penser à elle de faire comme si elle existait et j'ai compris qu'une personne qui a quitté ce monde ne meurt pas tant qu'il reste quelqu'un pour penser a elle, entretenir son souvenir. Une mère ne meurt jamais, elle cesse juste d'être visible et elle m'a appris qu'il est urgent d'aimer et de chérir quelqu'un car la vie est incertaine et que l'on peut se trouver au fond du gouffre à tout moment. Il y a des larmes qui ne cessent de couler, des vides qui ne se combleront jamais mais on doit l'accepter et vivre avec. J'ai donc décidé de vivre pleinement ma vie. Je ris pour elle, je danse pour elle, je chante pour elle, je pleure pour elle, je vis pour elle. »

Agapé tu es si belle. Je prie de tout cœur que tu ne m'en voudras pas d'avoir arraché cette si jolie page de ton carnet, cette jolie page qui m'a poussé à venir ici, qui m'en a donné la force. Je l'ai séparé des autres pages car je veux offrir tes sublimes mots à ma famille. Ils ne te connaîtront jamais, à mon plus grand regret alors c'est une façon de leur donner une partie de toi. Je replie soigneusement le petit bout de papier puis le dépose délicatement sur la tombe de ma mère.

-Vous savez, j'ai rencontré quelqu'un d'exceptionnel. Elle est vivante, pure, sincère, intelligente et elle a changé ma vie. Je sais que c'est ce que tu aurais voulu Emmy et je veux que tu saches que je t'aime et que je ne t'oublierais jamais. Elle s'appelle Agapé et tu sais maman elle m'a raconté la même légende que tu me racontais sur le Soleil et la Lune, je suis sûr que tu l'aurais aimé, j'espère l'aimer moi aussi. Il est trop tôt pour le dire, je ressens de l'admiration pour elle.

Le soleil se montre de plus en plus comme pour me dire qu'il se cache toujours un rayon de soleil derrière une tempête. Je leur parle ainsi pendant des heures, enfin je parle surtout de toi Agapé. Encore une fois je te dédie mes mots. La chose la plus courageuse que j'ai faite de toute ma vie est de continuer à vivre alors que je voulais mourir. Tu m'as fait comprendre qu'il fallait refouler ses sentiments quand ils sont nombreux et accumulés trop longtemps car si tu ne les tue pas toi-même, c'est eux qui te tueront. Maman, Alba, Roméo, Emmy, vous êtes tout pour moi, je vous aime et vous existez toujours à travers moi, à travers mon cœur et mon âme renaissante. Il est dur de savoir qu'ils ne vivront à présent plus que dans mon cœur et non dans ma vie et même si mon cœur les cherche encore mon âme sait qu'ils sont en paix à présent. Alors que je ferme les yeux une dernière fois en signe de mémoire à leur égard, je sens une douce chaleur effleurer ma froide joue. Puis une voix me chuchote quelque chose à l'oreille que je n'oublierais jamais.

-Tu es devenu un bel homme, amore mio. Nous sommes bien maintenant, nous devions mourir c'est comme ça, tu n'es pas responsable. Vis ta vie a présent je t'aime mon fils.

Je tourne ma tête dans tous les sens mais il n'y a personne. Juste moi, parlant a des tombes comme un vieux fou. Cette phrase venait de ma mère j'en suis sûr, c'est ce que j'avais besoin d'entendre. Je me sens libéré d'un poids, libre et léger. Je les regarde une dernière fois avant de rebrousser chemin et rentrer chez moi, à Londres ou ma vie m'attend. Où tu m'attends, Agapé.

You Changed my storyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant