Chapitre VI. Tu m'as sauvé la vie

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Une grande absence ne s'efface pas,
Mais elle cesse de saigner, elle cicatrise.
Elle vous devient une présence endormie très fidèle,
Qu'on apprend à emporter avec soi,
A travers sa vie,
A travers ses autres peines et même,
A travers ses joies.

                                Fanny Deschamps

Londres 19h30

Comme promis je me décore de mon long manteau noir. Un noir nuit, aussi sombre que moi, que mon cœur meurtri, persécuté depuis bien trop longtemps. Le taxi m'emmène au Harry's Dolce Vita comme convenu. Un restaurant chic où j'ai l'habitude de me rendre, à l'image de mon fichu compte en banque. Cela peut paraître complètement fou, égoïste ou même bourgeois mais parfois j'aimerais être pauvre, muni seulement d'un crayon et de feuilles de papier bon marché pour y graver mon âme isolée. Parfois Agapé, j'aimerais être toi. Être libre d'écrire ce que je veux, ce qu'il me passe par la tête comme tu sais si bien le faire, j'aimerais te ressembler. Même si ironiquement, sauter d'un pont serait plus agréable que de te l'avouer, tu m'inspires profondément. Devant le restaurant, Aretha est là pour m'accueillir, avec son doux sourire, léger comme la brise de chaude saison. J'ai passé ces sept dernières années à la fuir dès que l'occasion se présentait mais ce soir c'est d'un pas assuré que je marche vers elle. Le fil sur lequel je déambulais s'est transformé en véritable poutre de bois, plus solide que jamais. Agapé tout ça c'est grâce à toi. Je lui offre un délicat baiser sur le haut de son front, comme un frère pour sa petite sœur.

-Aretha, je suis heureux de te voir. Dis-je en lui rendant son sourire.

-Andréass ? Es-tu malade ? Ne me dis pas que tu as bu avant de venir ? S'affole-t-elle en touchant mon front pour être sûr que je n'ai pas de fièvre.

-Arrête, je vais bien je suis juste de bonne humeur aujourd'hui alors profite en. Entrons, il fait froid.

Elle me suit sans dire un mot encore surprise de mon attitude totalement inhabituelle. L'ambiance du restaurant est assez calme, les lumières sortant des murs, du plafond, du sol en fait un endroit agréable, réconfortant, idéal pour y diner un soir d'automne. J'aborde le sujet immédiatement, sans perdre une seconde.

-Je veux qu'on parle d'Emmy.

Aretha s'étouffe avec la gorgée d'eau qu'elle venait de glisser dans sa gorge.

-Andréass ? Je peux savoir ce qu'il te prend à la fin ? D'abord tu as l'air heureux, tu m'embrasses puis tu veux ensuite parler d'Emmy ?

-Je suis enfin prêt.

-Pourquoi maintenant ? Qu'est ce qui à changer ?

-Je ne peux pas te le dire Aretha, j'en ai fait le serment.

A toi Agapé, j'ai promis d'emporter ton secret dans ma tombe.

-Ne sois pas si mystérieux ! Parle. Dit-elle avec une moue confuse.

-Je veux te dire tout ce que j'ai sur le cœur alors ne m'interromps pas s'il te plait. Elle acquiesce.

-Ce soir-là, j'ai foutu ma vie en l'air et je m'en suis voulu si fort toute ses années que j'ai voulu mourir. Je m'en veux encore aujourd'hui je m'en voudrais toujours et je vivrais avec ce fardeau sur les épaules toute ma vie mais je suis prêt à l'accepter. Je suis prêt à vivre avec et cette fois je ne ferais pas comme si tout n'était qu'un rêve, je ne ferais pas comme si je n'avais jamais tué ma famille et ma fiancée.

-Andréass... Tu ne les as jamais tués.

-Ecoutes-moi s'il te plait. Ce soir-là, Emmy, ma sœur, mon frère, ma mère étaient ensemble dans le salon et je leur ai dit que j'allais leur préparer du thé. J'ai allumé la gazinière et y est déposé la jolie théière en porcelaine vert de ma mère. Ensuite, je suis sorti pour aller faire une rapide course. Quand je suis revenu, la maison s'embrasait violemment. Les flammes s'emparaient de ma maison, la dévorant elle et ma famille. Ce soir-là, j'ai commis l'erreur de ma vie en fermant la porte à clef en partant. Un torchon que j'avais laissé près de la gazinière à flambé et a répandu le feu dans toute la maison si rapidement que ma mère n'eut à peine le temps de réagir. J'avais fait les plans de notre maison et les vitres étaient en plexiglass. Ils n'ont pas pu s'enfuir Aretha. J'ai maudit mon métier durant les années succédant à l'accident, je m'en voulais tellement. Et le pire dans tout ça, la course que j'étais parti faire était pour acheter du papier car je n'en avais plus pour écrire. Depuis ce jour, je n'ai plus jamais voulu écrire.

-Andréass... Souffle-t-elle, une tiède larme coulant sur sa joue rosée.

-Tu n'as pas idée à quel point je me suis haï, du matin au soir. Me regarder dans un miroir était devenu trop violent car quand m'ont reflet apparaissait, la nausée montait et assommait tout mon corps, me tordant les intestins. Je me suis haï toutes ces années. Mais plus aujourd'hui, c'est fini tout ça, je veux changer.

Mon amie pleure à chaudes larmes, ne pouvant plus parler, attirant le regard de tous les autres clients. Je lui donne une douce caresse sur la main d'abord puis sur le haut de ses jolis cheveux châtain.

-Pardonne moi Aretha. Pardonne-moi toute ses années que j'ai passé à te fuir car je n'avais pas le courage de te regarder dans les yeux alors que tu étais ma plus chère, ma seule amie.

Elle pleure de plus belle.

-J'ai toujours rabâché sans arrêt que j'avais perdu ma famille dans cet accident mais c'est faux. Il me reste une petite sœur. Et c'est toi.

Aretha essuie ses larmes, imprégnant son mascara coulant sur sa jolie chemise puis se jette dans mes bras chauds, m'emportant dans une étreinte sincère, délicate, aimante.

-Je ne t'en ai jamais voulu Andréass, je savais mieux que personne que tout ça n'était qu'un accident. Tu es aussi une victime et tu n'aurais jamais dû endurer ça tout seul. La vie est si injuste.

-La vie est injuste mais le vent tourne Aretha. Il tourne toujours et c'est ce qu'il a fait pour moi.

Elle me serre bien plus fort entre ses petits bras frêles comme pour me dire: Le cauchemar est fini, tu peux te reposer. Merci Agapé. Ce sont les seuls mots qui me viennent alors que mes bras se trouvent autour de mon amie. Mes pensées vont vers toi une fois de plus.

-Elle me manque, geint-elle.

-Moi aussi.

Nous avons dîner et la joie s'est emparée de moi, réveillant mon cœur mort. Cela faisait un moment que je n'avais pas passé une aussi bonne soirée. Ce soir-là sur Vauxhall Andréass Bellini a sauté du pont et un nouvel homme est né. Agapé, ce soir-là tu as plongé dans les noirceurs de mon être et tu y as repêché mon âme estropiée de la plus belle des façon. L'amour que je fuyais tant a refait surface dans ma vie car j'ai compris que ce n'était pas lui qui me faisait mal. La solitude, le manque, le déni voilà ce qui me faisait mal. Or j'ai compris que l'amour était la seule chose au monde capable de me faire sentir bien à nouveau. A toi Agapé, tu m'as sauvé la vie.

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