Prologue

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🌹

MIA 


— Excusez-moi ? Vous pouvez me resservir ?

— Je vous l'apporte tout de suite, dis-je au client.

Je sillonne entre les tables pour servir du thé à cette vieille dame qui est là tous les jours à dix-sept heures, pour l'heure du thé. Ma cliente la plus fidèle, mais pas la plus bavarde.

Je travaille au Cordier pendant mes vacances scolaires. Je laisse Marjorie, ma cliente fidèle, s'occuper en regardant les passants par la baie vitrée. Je ressers le quadragénaire avec sa chemise bleue, un café noir sans sucre.

Je commence à connaître toutes les habitudes de mes clients. Encore une heure et j'ai fini mon service.

Je pourrais m'occuper de mon père malade, cela doit faire maintenant deux ans que mon père à une pneumonie. Je sais très bien que c'est juste une question de minute avant qu'il ne parte rejoindre ma mère dans l'au-delà.

Ce n'est pas le moment de penser à ces choses-là. Mon père est bien vivant et pour encore quelques années, je n'ai pas le droit de baisser les bras si facilement.

Valérie ma patronne, elle est comment dire... Spécial. C'est le genre de patronne qui prend des nouvelles de ta famille, mais néanmoins adore te rabaisser d'une façon ou d'une autre. On peut dire que ça dépend de son humeur.

Nous sommes trois serveuses en tout dans ce petit café de la capitale. Il y a toujours cette serveuse qui est prête à changer ses horaires, si c'est pour aider une amie, c'est le cas de Margot.

Dans chaque restaurant, café, bar, il y a cette fille qui arrive toujours en retard et toujours de mauvaise humeur. Marie n'est jamais agréable surtout avec moi. Je pense que c'est depuis que je lui ai dit qu'elle devrait peut-être être plus souriante et gentille avec les clients.

Elle aurait des plus gros pourboires, voir même en avoir tout court. Malheureusement pour moi, Margot est en vacances à Dubaï avec son jeune fiancé, ce qui signifie que je suis dans la contrainte de coopérer avec Marie.

Le Cordier se fait de plus en plus vide, ça sent la fin de mon service et les lasagnes de mon père qui m'attendent à la maison.

J'ai un appartement avec mon père deux rues plus loin, c'est petit mais suffisant pour nous deux. Avant la maladie de mon père, il était agent immobilier, mais voilà qu'à seulement cinquante-quatre ans, il doit arrêter son rêve d'enfant à cause de cette fichue pneumonie qui nous pourrit la vie.

Eva Shaw était aussi belle que talentueuse un vrai sens pour l'art et tout ce qui est philosophique. Je me souviens d'une odeur assez particulière, l'odeur de jasmins et de la gouache, qui circulait dans toute la maison. Elle était une vraie fée clochette.

Ma mère est d'origine américaine de Louisiane : la Nouvelle - Orléans. J'y suis née et j'ai vécu dans cette ville de couleur jusqu'à mes treize ans. Deux mois après, le cancer du sein a emporté ma mère. C'était beaucoup trop douloureux pour mon père, pour qu'on reste au continent, alors nous nous sommes rapprochées de la famille de papa, ici en France.

Je retire mon tablier bleu pastel pour ensuite l'accrocher dans mon casier au « vestiaire », c'est plutôt un placard à balais. Selon Valérie, vestiaire ça fait mieux que le placard à personnel. Ce jour-là, je m'en souviens très bien puisque je m'étais pris un coup de chiffon, car je m'étais moqué d'elle.

— Valérie, je n'appellerais pas ceci un vestiaire. Lui avais-je dit quand elle me l'avait présenté pour la première fois.

— Bien sûr que si, il y a des casiers et des cintres pour le tablier et les manteaux. M'avait-elle dit ce jour-là.

— On dirait un placard à balais. Lui avais-je répondu.

— Vestiaire, c'est mieux que le placard à personnel. M'avait-elle sorti, avant que je me fusse à rire.

Je sens une douleur aux fesses quand je repense à la suite de l'histoire, le coup de chiffon, je ne l'avais pas vu venir et bien fait pour moi.

Tout le monde est déjà parti puisque c'est moi qui fais la fermeture de la boutique, aujourd'hui. Je sors du casier mon sac que j'ai réussi à trouver en friperie, on peut dire ce qu'on veut sur eux, mais c'est là où je trouve mes trésors.

J'enfile mes écouteurs à fil avant de me mettre Criminal de Britney Spears à fond dans mes oreilles. C'est en fredonnant la musique que je dévale les rues de Paris, je me plonge complètement dans ma bulle, je me réfugie dans cette tragédie où elle explique l'amour entre un criminel et elle.

Un coup de klaxon retentit alors que je me trouve en plein milieu de la route, je me retrouve propulsé vers le sol par un corps lourd.

— Connard, fait gaffe putain ! Râle mon sauveur du jour.

Il me remet vite fait sur mes pieds, j'ai mal de partout, je viens de bouffer le béton et un corps ou plutôt quatre-vingts kilos de muscles d'acier. Je scanne mon sauveur de ses converses noir à son t-shirt blanc en colle en V. Tatouages sur les bras et dans le cou.

Un dieu vivant vient de me tomber dessus, d'environ un mètre quatre-vingt-cinq ou huit. Châtain foncé qui vire plutôt au brun, beau à en mourir. Mama, I'm in love with a criminal . Circule encore dans mes oreilles.

Il me jette un regard furieux comme si j'avais butté son animal de compagnie.

Je fronce des sourcils d'incompréhension, je sens mon sang monter à mes joues et à mes oreilles. Je suis morte de honte son regard bleu azur sur moi qui me fusil toujours ce qui me met extrêmement mal à l'aise.

Il m'arrache mes écouteurs de mes oreilles ce qui me vaut un bon en arrière, je n'étais pas préparé à recevoir ce geste tout comme son corps d'ailleurs.

Je n'aime pas qu'on me touche, je ne suis pas très tactile.

— Tu devrais regarder où tu mets les pieds, me gronde-t-il.

— Tu n'es pas , d'ici tu viens d'Amérique ? demande-je surprise.

— Regarde à droite et à gauche avant de traverser. Me gronde-t-il encore sans répondre à ma question même si je sais que la réponse est : " oui, je suis Américain."

Je n'ai même pas le temps de le remercier ou lui demander son nom qu'il disparaît dans les rues étroites de Paris.

Les Éternels Rivers Où les histoires vivent. Découvrez maintenant