Chapitre 8 : Anagapesis

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Anagapesis... c'est un joli mot n'est pas ? Je l'ai trouvé par pur hasard, comme ça, sans contexte. Je l'ai vraiment aimé : sa sonorité me plaisait. Alors j'ai cherché son origine, ce qu'il voulait dire et il n'en fut que meilleur.

Anagapesis est un nom commun anglais qui vient directement du grec : "an", qui signifie "sans" et "agape" qui signifie "amour". Sa définition est très intimement lié à son étymologie, anagapesis est utilisé pour parler d'une perte définitive de sentiments envers quelqu'un qu'on a autrefois fortement aimé.

Étrangement, ou justement, je me suis reconnue en ces dix lettres. Dix lettres pour me décrire moi et cet amour dégoulinant dont je ne savais pas quoi faire. Il coulait en une masse visqueuse et informe de mon cœur trop plein, et bien que j'essayais de le garder près de ma poitrine, il débordait inévitablement. Il tombait par terre, et je m'abaissais pour essayer de le ramasser, sans me rendre compte qu'on ne peut pas porter à nouveau quelque chose de sale comme ça, au fond son cœur. Même s'il est épais et violacé, il était doux et sans accrocs, c'est toujours dommage de le voir s'effiler entre mes doigts. Alors, j'ai serré fort contre moi ce cœur qui voulait tant crier, pour ne pas qu'il dise trop fort tout ce que je pense tout bas. Je ne voulais pas qu'il sache. Je ne voulais jamais plus sentir sa main contre la mienne ou ses bras enlacés autour de mes hanches. Plus jamais mes joues rougir et mes lèvres se pincer. Plus jamais je ne voulais pleurer comme ça pour quelqu'un qui ne m'a jamais désiré. Mais, mes yeux remplis de larmes ne cessaient de revenir vers les siens, ensoleillés. Dans ces moments là, je prend sur moi, je me relève, et je fais comme si de rien n'était, en cachant les dégoulinures sous des couches de vêtements.

Parfois, je pense que je devrais arrêter. Parce que plus je suis avec lui et plus je l'aime et je ne veux plus l'aimer parce que ça fait mal et que mon cœur est déjà trop plein. Plein à craquer, il déborde, et je n'aime pas ça. C'est comme la sensation du vomi qui remonte par toute la gorge et qui se déverse après sur le sol. Ça jonche le parquet, c'est sale. Il faut nettoyer aussi, se rattraper avant que tout ne dégénère. Et pourtant, l'odeur nauséabonde reste même après avoir passé le parquet trois fois avec de l'eau et de la lessive.

J'ai la tête qui tourne.

La première lettre de ce mot est la première de l'alphabet, celle qui commence tout, l'alpha, en grec, la dominante; elle est forte et grande. Elle sait se faire remarquer, presque fanfaronne. Parfois, ça lui arrive de parler à n, qui ne sais pas trop comment exprimer ses sentiments. Elle lui montre un autre monde, un monde magique et plein d'étoiles. Elle lui promet la lune, et n y croit. Sans vraiment sans rendre compte, la seconde suit désespérément la première, la tenant du bout des doigts, n'osant pas la tirer vers elle. Bien qu'elle ne soit pas spécialement timide, n à vraiment du mal à dire ce qu'elle ressent. Parce que c'est la première fois qu'elle tombe amoureuse, et c'est quelque chose de nouveau, d'inconnu. Ça lui fait un peu peur, comme ça, de ne pas savoir où elle va. Elle pense même parfois que c'est dangereux, et qu'elle ne devrait pas continuer à suivre a. Pourtant, elle n'a pas hésité à plonger dans l'immense fosse obscure qui s'est présentée à elle quand a l'a fait.

Aujourd'hui, il est tôt, du genre... une heure une du matin. Et moi j'écris ces lignes misérablement, parce que mes sentiments se sentent piteux, moites et qu'ils ont besoin de parler. Je les cache trop. Ils ne devraient pas rester si longtemps enfermés mais je n'y arrive pas. Je n'ai pas la clef de la porte, je ne peux pas leur ouvrir. Vous comprenez ? C'est trop dur pour moi de marcher. Je ne sais plus ce que je dis, parce que je ne vois plus trop bien autour de moi. Je pense que ça aurait été mieux si j'avais fumé quelque chose d'illicite ou bu de l'alcool fort, au moins j'aurai eu une raison à ma dérive. Mais non. Juste la fatigue et la lassitude des répétitions dans les journées longues et chaudes. Il ne m'aimera pas, jamais, il ne me désirera pas non plus, et encore moins comme moi je le veux. Il m'arrive d'espérer une dispute parfois, pour que ça se finisse enfin et que je puisse lui dire un truc du type : "tu sais, moi je t'aime. Je t'ai toujours aimé et là c'est terminé donc je dois te dire au revoir. Je sais pas si c'est mieux comme ça mais moi au moins on m'a laissé sortir de la maison donc ça me va". Comme si j'étais devenue libre. Vraiment libre, pouvoir voler loin et jamais revenir. Mais si je m'envole, je vais devenir ivre et me brûler les ailes. Et alors, je tomberai dans la mer et je me noierai. Comme Icare. Lui, je ne sais pas s'il était amoureux. Tu étais amoureux Icare ? D'Ariane ? De Thésée ? D'un coquillage du rivage, de la poupe du bateau ? Tu étais désespéré Icare ? Tu en voulais à Dédale d'avoir fait naitre tes ailes ? Tu voulais mourir ? C'est pour ça que tu as foncé vers le soleil ? Ou alors tu étais juste insouciant et naïf ? Tu avais envie de partir. Moi aussi, tu sais, et parfois je me dis qu'on pourrait s'enfuir ensemble ? Tu en penses quoi ? C'est possible ?

Tu peux me tenir compagnie le temps d'un vol ? Le temps que je me perde et que je me retrouve ? Comme ça, je le verrai d'en haut, il portera sa main au dessus de ses yeux, pour mieux me voir planer à contre jour. Et moi je ne lui ferai pas de signe, je le laisserai regarder, de ses grands yeux perçants. Et une fois en haut, tout près de la chaleur écrasante du soleil, ce sera l'heure de me décider. Je redescends en bas, je lui souris et il me sourit, on se sourit et on repart lentement vers la maison ? Ou alors je verse une dernière larme qui lui pleuvra dessus et je monte là haut. Je ne sais pas ce qu'il y a là haut. Une délivrance ? Une chance ? Ou juste une boucle vers la même erreur ?

J'ai peur, mais ce n'est pas grave, Agape.

𝚁𝙰𝙽𝚃𝙱𝙾𝙾𝙺Où les histoires vivent. Découvrez maintenant