Chapitre 7 : What were you wearing ?

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« A travers le brouillard de Normandie, une jeune fille et son enfant se frayent un passage.
- Que portiez vous ce jour là ? »

Avec ce court résumé imaginé à l'improviste après avoir découvert l'existence d'un musée classifiant les vêtements portés par les victimes d'un viol, je me suis lancée dans une nouvelle dont l'unique but était de me retirer cette peine que j'avais ressentie à l'égard de cette information. Ironiquement à mon chapitre précédent, l'inspiration m'est venue d'une traite après avoir posé sur le papier ces quelques mots brefs, ces idées d'une profondeur bien trop sombre pour une enfant. Je me suis sentie emportée, et j'ai pleuré lorsque le moment d'écrire les dernières lettres avait sonné.

Je vous laisse lire, ce court texte, dont rien n'a été relu tant j'en avait été poignée. Comme dix millions de couteaux dans le cœur, j'écris ces phrases dans l'unique but de dénoncer.

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- Que portiez-vous ce jour là ?

Un long  silence s'empara de la pièce, qui fondit soudain en une palette de  couleur morne. La jeune fille baissa les yeux, regarda le sol et  déglutit. Elle se mordit la lèvre avant de répondre, la voix  tremblotante.

- J'avais... une salopette bleue marine.

L'homme la dévisagea en haussant un sourcil.

- Mais encore ?

- Dessous, un tee-shirt blanc.

- Moulant ?

- Oui.

- Ceci explique donc cela.

Elle releva la tête, le visage plié d'incompréhension. Elle était jeune, mais des rides semblaient apparaître sur son front.

- J'avais neuf ans !

Il  ne dit rien et continua son interrogatoire, comme si elle avait été la  fautive. Il était courbé sur sa chaise en prenant des notes au fil et à  mesure que son interlocutrice parlait.

- Je... je portais des baskets normales.. j'avais un bandana vert et... et c'est tout.

Son  expression suppliante, il était clair qu'elle l'implorait de l'aider,  de trouver une solution. Mais il ne la regarda même pas. A la place il  se tourna vers son collègue pour lui demander de s'occuper d'une dame  qui attendait toujours au guichet. L'autre sembla hésiter à les quitter  un instant mais compris l'agacement de son associé de travail et n'osa  rien ajouter. Il leur tourna alors le dos pour rejoindre l'emplacement  indiqué. Du ton le plus bienveillant possible, il prit la requête de la  dame. Leurs voix se fondait dans la pièce jusqu'à complétement  disparaître, et la jeune fille, toujours assisse sur la chaise en face  du quadragénaire, ne savait plus quoi ajouter.

Elle avait déjà  déposé sa plainte, décrit l'homme de sa mémoire trouble, et expliqué  toute la situation. D'ailleurs, il n'y avait pas grand chose à ajouter à  ce propos. Elle essayait tant bien que mal d'effacer les détails, mais  tout lui revenait à l'esprit inlassablement. Comme la cinématique d'un  jeu qu'on ne peut pas passer.

Après, l'homme lui avait posé  toutes sortes de questions auxquelles elle avait donné réponses. Floues,  comme ses yeux qui transpiraient l'abandon et la peur.

Une voix monotone la coupa court dans ses pensées en désordre.

-  Mademoiselle, j'ai bien pris en compte votre témoignage. Je vais vous  demander de remplir ce formulaire ainsi je pourrais vous contacter  lorsque nous aurons des indices quant au coupable.

Il lui laissa un papier, si léger qu'elle en fut déconcertée, et partit.

Prénom : ..................

Son  bras ne bougea pas. Car elle ne sut pas remplir la première case,  complétement délaissée. Quel était son prénom déjà ? Elle chercha dans  ses souvenirs : comment sa famille l'avait toujours appelé ? Mais rien  ne vint. Comme si ce mot avait été censuré, coupé au montage. Elle  ravala sa salive et se secoua. Une fois ses idées remises en place, le  stylo griffonna dans un froissement qu'elle aurait crut strident.

Adresse : ...............................................

Elle  nota, se remémorant le chemin qu'elle avait emprunté pour venir ici. Et  le chemin de l'école primaire. Le vent doux du printemps qui frôle les  extrémités des branches et les grands immeubles blancs qui encerclaient  la ville comme une arène.

Numéro de téléphone : ..................................................

Elle écrivit celui de sa mère.

Plus  elle avançait et plus elle s'abaissait, jusqu'à ne faire presque plus  qu'une avec la feuille. Puis, la dernière case se dressa devant elle,  elle serra les dents pour y répondre, et une larme vint transpercer le  papier. Tout son être tremblait maintenant, et son écriture ne devenait  plus qu'illisible.

On aurait pu y discerner des vagues, des montagnes, une cité... Mais non, c'était bel et bien des lettres, quatre lettres.

- Alors, vous avez terminé ?

L'homme  s'approcha en se grattant la nuque et elle lui remit le formulaire, les  yeux vides et confus, cherchant sûrement un refuge à travers cette  personne devant elle qui ne lui en apporterait évidemment aucun.

- Allons, faut pas se mettre dans tout ses états mademoiselle...

Elle  se leva doucement, comprenant la fatalité de ce bureau, courbée comme  un vieil arbre resté trop longtemps au soleil d'été. Comme un olivier,  un très vieil olivier.

Elle prit la porte pour s'évaporer dans le  brouillard matinal. Son ombre n'était plus qu'une partie de molécules  flottante au dessus des ruelles vides à cette heure là.

L'Homme soupira, rangea la paperasse dans son tiroir et tenta d'allumer une cigarette.

- Si tu fumes, vas dehors !

L'ordre  fit son effet et il s'éclipsa à son tour à travers les nuages brumeux  de Normandie. Le feu éclaira son visage et les alentours durant une  seconde puis s'éteignit pour laisser place à un énième flot de gris qui  se mélangea sans difficulté avec les autres.

Motif : viol.

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