Léonie.
Il paraît qu'au crépuscule de sa vie, les seules choses que l'on regrette sont celles que l'on n'a pas faites. Faux ! Plantée devant le miroir de la salle de bain et tendue comme un bambou, je peux vous assurer que je n'avais pas assez de fond de teint pour masquer tout mon embarras. Minuit passé, le carrosse redevient citrouille et Cendrillon marche, claudicante, pieds nus, pied chaussé. Sauf que je n'avais pas égaré de jolies chaussons de vairs : j'avais juste saccagé une paire de chaussons Etam.
Je me drapai dans toute la dignité qu'il me restait, réfrénant les réminiscences de la veille. Et je descendis.
Les premiers Janvier se ressemblaient tous depuis que j'avais grandis : une interminable journée ponctuée de notifications, on déjeunait à quinze heures, on décuvait de la veille, on n'avait rien de dingue à faire, le mois s'annonçait déprimant et nous étions tous dans une espèce de léthargie cotonneuse. Gueule de bois nationale. Pas étonnant que ce jour soit férié.
Mon téléphone n'en finissait plus de vibrer, je le mis en silencieux, non sans avoir, au préalable consulté la conversation familiale dans laquelle mes cousines, mes cousins, mes oncles, mes tantes, mes parents, mes grands-parents se réverbéraient des "Bonne année" accompagnés de photos de leur soirée. Je bavais quelques instants devant la photo d'Auriane, l'aînée de mes cousines. Elle posait dans une merveilleuse robe dorée qui ne laissait nul doute quant au thème de sa soirée : années 20.
Je remarquai alors que ma mère m'avait écrit un long message de bonne année, comme elle en avait le secret. Elle terminait celui-ci par une invitation à la rejoindre le soir même pour honorer une de nos traditions : faire un puzzle ensemble.
— Tu veux dire qu'on lui a fait faux plan ?
A ces mots, je me figeai. La voix de mon frère émanait de la cuisine où flottait une étouffante odeur de café. Je me suis penchée et ce que j'y ai vu acheva de me mettre mal à l'aise : Côme était face à lui. Il avait beau être de dos, je pouvais reconnaître entre mille la courbe de ses épaules et la cambrure de ses reins. Mon frère était occupé à briquer ses lunettes. Il avait une petite mine, je lui avais connu des matinées plus vaillantes.
— Ouais.
— Tu sais qui elle devait voir ?
— Je n'ai pas posé de question. En tout cas, ça avait un rapport avec la photo parce qu'elle avait embarqué tout son matos.
Côme désigna le bas des escaliers : je me recroquevillai pour ne pas que l'on m'aperçoive. J'étais au comble de la gêne mais être surprise en train de les espionner, ce serait vraiment l'humiliation suprême.
J'entendis Jules claquer sa langue.
— Elle ne sait jamais les choisir. C'est tout le temps la même histoire.
— C'est pas ton problème, si ?
— Tu dis ça parce que tu n'as pas de sœur.
Sans doute Côme avait-il haussé les sourcils car mon frère s'écria :
-C'est pas pareil ! C'est ta grande sœur !
-Et Pauline ?
-Reviens m'en parler quand t'auras une vraie relation avec elle.
J'aimais sincèrement mon frère mais dans des moments comme celui-ci, son emprise sur notre fratrie me pesait. Face à moi, il y avait une monumentale toile qui recouvrait une bonne partie du mur du couloir. Mes grands-parents maternels à qui appartenait le chalet l'avaient faite accrocher quand nous devions avoir une dizaine d'années. Huit. Huit enfants immortalisés en noir et blanc dans un studio photo. Pour moi qui étais à présent derrière l'objectif, cette prise relevait du miracle : chacun de nous était souriant, bien peigné, bien habillé et regardait l'objectif. Mon frère, Jules avait posé une main protectrice sur mon épaule et une autre sur celle de notre plus jeune sœur.
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Monarchie
RomanceUne seule règle régissait leur amitié : on ne touche pas aux soeurs des amis. Et Côme avait accepté volontiers cette règle tacite jusqu'à ce qu'il rencontre Léonie... 👑 Nouveau chapitre chaque Vendredi soir ! 👑