𝐇𝐎𝐋𝐈𝐒𝐓𝐈𝐂

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Il est de ceux qui croise votre route au détour d'un couloir et place en vous ces sentiments qui plus jamais ne vous quittent.
La sonnerie venait de retentir, le dernier jour de l'année venait de se finir.


Je ne dirais pas que je suis nostalgique, j'ai tant attendu que cette période se termine. Je n'ai jamais vraiment aimé les cours, sans pour autant y être mauvais. Cela ne me stimulait juste pas. Je suis ce genre de personne au fond de la salle, qui se perd dans la contemplation de tout, comme de rien. L'extérieur me semblait toujours plus intéressant, si beau par la fenêtre. Ciel bleu, souvent duveteux par les nuages qui l'habitent. Cour bitumée, où il m'était arrivé d'y voir passer quelques chats, chassant l'oiseau mal avisé de s'y être posé. L'automne me captivait par ses couleurs chaleureuses, ses feuilles volantes au gré du vent, balayant la saison d'avant, faisant place à celle d'après. L'hiver pouvait me transporter durant des heures, l'envie irrépressible de poser mon empreinte dans cette neige pure et intacte de tout contact. Les saisons savaient occuper mes pensées, durant de longues heures de cours, souvent interminables. Et quand ce n'étaient pas elles, le reste du paysage pouvait me permettre une évasion tout aussi savoureuse. Je ne pourrais quantifier le nombre de fois où j'ai pris le temps d'imaginer la destination des avions, dont je remontais le chemin par cette ligne blanche, effet de condensation, qui les suivaient à la trace. Parfois je me questionnais sur la vie qu'avaient ces gens que je pouvais voir marcher dans la rue, le long du muret de pierres qui bordait la cour. Je me plaisais à croire qu'ils avaient un quotidien riche, fait d'aventure, que l'un était avocat quand celui devant lui pouvait être astrophysicien. Je ne dénigrais pas les petits boulots, bien plus modestes, pas moins utiles. Les éboueurs passaient tous les mardis matins, vers neuf-heures quinze, souvent je restais scotcher aux cinq minutes de temps qu'ils passaient à vider les conteneurs devant la grille.

La journée se finit, les élèves désertent les salles de cours, s'empressent de sortir des couloirs, rejoignant le devant de l'établissement pour s'échapper par le grand portail de fer noir, porte ouverte sur la liberté. Pour certains, ils ne reviendront sûrement jamais ici, d'autres n'avaient qu'une poignée de semaines avant que de nouveau ils remplissent les cinquante mètres carrés des salles d'enseignements.
Je faisais partie du premier type de personne.

Je ne pouvais pas quitter cet endroit sans revenir sur des éléments qui avaient marqué mes années d'études ici. Je ne pouvais pas passer dans ce couloir sans sentir une nostalgie profonde m'envahir. J'aimais l'automne pour ses couleurs, pour son climat tempéré. Je l'aimais aussi pour avoir été la saison de sa rencontre.
Je l'ai aimé, lui, un début d'automne.

Ce couloir avait été le théâtre d'un tournant dans ma vie, je doute dans la sienne. Je me souviens de l'heure, du jour, du temps. Je me souviens de ces dix heures sonnantes, de mes cinq minutes de retard. Ses cinq minutes à lui aussi. Je l'ai aimé un mercredi, un jour d'automne qui ne promettait rien en matière de météo. Un vent balayant l'été, faisant place à l'hiver. Une humidité qui faisait friser la naissance de mes cheveux sur ma nuque, qui rendait ses boucles plates, manquant de volume. Il était en retard, mais était mon opposé. Il était serein, si peu inquiété de devoir se justifier. J'étais chamboulé, paniqué d'être regardé, de devoir bégayer mes excuses entre deux reprises de souffle. Je n'avais jamais remarqué sa présence, il n'avait sûrement jamais arrêté son intérêt sur la mienne. Nous allions rentrer dans la même pièce. Nous découvrions le regard de l'autre comme une première fois. Il m'a laissé passer.

Je suis rentré, me suis excusé. On m'a regardé, j'ai retenu ma respiration.
Il s'est justifié, très peu inquiété. On l'a salué, il s'est amusé de la situation.
Je l'ai aimé dès cet instant.

Je ralentis en passant devant cette salle, les couloirs étaient maintenant presque déserts, l'été avait déjà bien débuté et ne pas en profiter dès le premier instant serait cruel. Je le ferais, mais j'avais besoin d'encore un peu de temps. J'avais besoin de me retrouver ici, de savourer mes dernières minutes entre les murs de cet établissement. Mon sac contre le pied de la table, je prends place derrière ce pupitre et je me souviens.

Cette salle avait été le berceau de mes sentiments, j'avais appris à l'aimer ici. A la diagonale, je pouvais me délecter d'une vue directe sur lui. Les heures n'avaient jamais été aussi courtes que quand je les passais à le regarder. Je connais par cœur les traits de son visage, ils ont été tant de fois le sujet de mes observations discrètes. Je connais le grain de sa peau, la texture de sa chevelure, la forme de ses lèvres. Je connais tout, sans avoir pu passer du regard au toucher. Je saurais reconnaître sa voix entre mille et bien plus encore. Il m'est arrivé de fermer les yeux pour l'écouter parler, réciter ses connaissances, justifier ses réponses. Il avait cette voix profonde, qui va chercher dans les graves mais qui se brise en quelque chose de léger, presque aigu, quand il rit. Je ne saurais expliquer, mais je peux assurer que je n'ai jamais entendu un son plus beau que son rire. Il est à mes oreilles celui d'un ange et j'ai fait imprimer dans mes méninges la tonalité de sa voix qui me berce à chaque fois. Je pouvais boire ses paroles quand bien même elles ne m'étaient pas adressées. Il méritait d'être écouté, qu'on l'entende. Je peux me perdre dans mes pensées, pour mille raisons, à mille occasions. Manquer d'attention, en cours comme avec mes amis, ne pas écouter, être ailleurs, perdre le fil de la discussion. Je n'ai jamais été aussi attentif que quand il s'exprimait. Il était mon orateur, celui qui me captive, saisissait mon attention à la moindre de ses respirations. Son torse qui se soulève puis son ventre qui se creuse. Mon observation était si profonde que j'en venais à voir ces choses-là. Je voyais tout, j'éditais dans mon esprit la lumière qui le baignait à la fenêtre, le profil qu'il avait quand il regardait par celle-ci. Son regard châtain, ses cils courbés, la ligne de son nez, la tranche pulpeuse de ses lèvres. Sa gorge dont je pouvais voir nettement la trachée, ses épaules saillantes, ses bras forts. La beauté de ses mains, qui mon apprit à aimer cette partie du corps. Chaque phalange se dessinait sur sa peau vanillée, les articulations de ses doigts n'avaient plus de secret pour moi et j'en suis venu à même aimer voir les veines surgirent sur ses avant-bras. Il avait une beauté que certain ne remarquait pas, quand moi je ne pouvais en détourner mon regard. Je l'ai tant aimé, lui qui avait tout, mais vivait comme celui qui n'avait rien.

𝐇𝐎𝐋𝐈𝐒𝐓𝐈𝐂 ⸻ 〔Fᴇʟɪx 〕Où les histoires vivent. Découvrez maintenant