Ça ira

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-Et Desmoulins ?

Maximilien le savait, l'attendait. Mais ce n'était pas plus facile pour autant. Il ferma les yeux et serra les paupières. Des souvenirs d'un autre temps, qui semblait si loin et qui pourtant était encore si proche, l'entraînèrent dans un univers où tout avait été plus facile.

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-Et Desmoulins, monsieur ?

Maximilien était à la limite de battre des cils devant son professeur. L'homme se retourna pour lui lancer un autre regard, ses yeux gris toujours perçants sous ses sourcils hirsutes.

-Et bien, Desmoulins, qu'en est-il, mon grand ?

-Monsieur, c'est que je ne sortirai pas sans lui.

Le vieil homme souffla. Il fit mine de maugréer quelque chose dans sa barbe, mais Maximilien savait qu'il avait déjà gagné : cet homme lui donnerait à peu près tout ce qu'il demandait si c'était en sa capacité. Il se plaisait à affirmer que Maximilien était l'un des élèves les plus brillants qu'il n'eusse jamais eu, et criait à qui voulait l'entendre qu' « en voilà un, n'est-ce pas, qui réussira sans doute, où personne ne peut plus réussir ! ».
Et en effet, après un instant d'hésitation, il marmonna:

-Oui,bien, c'est d'accord, mon garçon. Mais si une seule âme entend à propos de cette histoire, vous me mettriez dans un situation bien délicate.

-Bien sur, monsieur, ce serait une indiscrétion de ma part.

Et il partit comme il était venu, sans se retourner, quittant le bureau en prononçant un simple et concis « Merci Monsieur, au revoir ! ». Camille l'attendait dans le couloir, quelques pas plus loin, un air d'impatience peint sur son visage rond encore enfantin, ses yeux pétillants pleins d'attente. Il aurait du être au lit avec tous les autres, mais lui comme Maximilien avaient les privilèges que les excellents élèves seuls connaissent, et il ne risquait que la réprimande en étant la.

-Il a accepté ! Lança Maximilien en saisissant le bras de Camille.

Ils marchèrent rapidement à travers les couloirs, tous deux en culotte et robe de nuit, et sortirent dans la cour, s'assirent par terre sur un morceau de sol légèrement surélevé.

La nuit était silencieuse. Pas un bruit ne venait percer l'épaisse atmosphère, mais la nuit était claire, et les étoiles au loin semblaient les observer de haut, la lune diffusait une pâle lueur blanche qui donnait un certain aspect merveilleux à toute la scène. C'était étrange, de voir un lieu qui leur était si familier, à un moment si différent, où tout semblait endormi, effacé ; il était difficile de se figurer que c'était le même endroit où les étudiants riaient et se bousculaient la journée, un lieu d'habitude si plein de vie. Ce sentiment était toujours déconcertant, frôlant pour Maximilien le fantastique, mais pour Camille, il le savait, le lugubre. Ils se serrèrent l'un contre l'autre, leurs épaules et bras se touchant, le dos de leurs mains s'effleurant. L'air frais de la soirée s'engouffrait sous le tissus fin de leurs robes de nuit, et le lieu paraissait infiniment plus grand du fait qu'il n'était pas occupé par des centaines d'élèves survoltés.

Leur présence ici, normalement interdite, qui leur était autorisée exceptionnellement par l'affection que portait ce professeur à Maximilien, leur sembla un exploit, une chance unique, et raviva en eux une sorte de fierté, d'audace propre aux tout jeunes qui réussissent leurs idées incongrues.

Ils profitèrent ensemble de ce mélange d'émotions étrange, décuplé par l'heure tardive, sans se dire un mot, baignant dans l'ambiance particulière commune qui les submergeait.

Petits one shots historiques Où les histoires vivent. Découvrez maintenant