Prologue

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500 mètres par secondes. C'est la vitesse d'une balle de pistolet classique. C'est la vitesse à laquelle ira celle qui va mettre fin à mes jours. L'homme devant moi me tient en joue, le visage déformé par la haine et le désir de vengeance. Cet homme dont la raison et le devoir guidaient chacune de ses actions il n'y a pas si longtemps n'est à présent que l'ombre de lui-même. Il n'est plus que fureur. Il n'est plus que désespoir. Je peux sentir son envie de me tuer jusqu'au plus profond de mon être. Et cela me fait sourire. Parce que finalement en me tuant il admet ma victoire. Oui, c'est en mettant fin à ma vie que l'homme qui se tient devant moi échoue. Tout cela il le sait pertinemment : cependant rien ne pourra changer l'acte  qu'il s'apprête à commettre. Sa main crispée sur la crosse de son pistolet semble impatiente d'en finir, mais il se retient. Malgré toute sa folie une question subsiste encore. Il me l'a posée chaque fois qu'on s'est vu et ma réponse est restée inchangée. Et il me la posera une dernière fois.

Soudain il n'y a plus rien autour de nous. Le parking désert où nous nous tenons disparait. La nuit noire comme l'encre disparait. La morsure du vent disparait. Il n'y a plus que moi et cet homme, cet homme que j'ai détruit, cet homme à qui j'ai enlevé toute raison de vivre. Je sais que chaque respiration m'est comptée, que chaque battement de cœur est peut-être le dernier, mais cela ne m'effraie pas. A quelques mètres de moi la respiration de l'homme s'accélère. Il brûle d'envie de me tuer maintenant mais il se retient. Tous ses membres tremblent lui qui a les mains propres, dénuées de sang. Lui qui va les salir pour la première fois aujourd'hui. Et c'est d'une voix ou transparait la colère, le chagrin et la détresse qu'il me pose enfin la question fatidique :

- As-tu des remords ? As-tu des remords Ava Wain ?

Seul le silence lui répond.

- Répond ! As-tu des remords ?

Sa voix tremble. Je lui réponds par un sourire, un de ces fameux sourires dont je détiens le secret, ce qui le fait sortir de ses gonds.

- Arrête !! Arrête avec ce sourire ! Comment peux-tu infliger ça à des gens ? Répond putain, répond ou je te tue ! As-tu des remords ? Regrette-tu ne serait-ce qu'une seconde tes actions ?

Mon sourire s'élargit. Il connait la réponse de chaque question et pourtant il reste dans le déni.

- Je vais te tuer est ce tu comprends ça ? Je vais vraiment tirer si tu ne réponds pas !

Sans me départir de mon sourire je lance :

-Tu n'as donc rien retenu de nos longs échanges ? Je suis déçue. Moi qui pensais qu'on n'avait plus de secret l'un pour l'autre. Je te l'ai déjà dit : la mort ne m'effraie pas, pas plus que la douleur. Quant à ta question inutile et sans intérêt je ne prendrai pas la peine de répondre. Tout ce que tu veux entendre je ne le prononcerai jamais. Tout ce que tu peux entendre se trouve dans ta mémoire. La voilà la réalité. Accepte-la. Ne reste pas dans le déni, dans ta vision aveugle et utopique.

- Espèce de connasse ! (A présent sa voix semble prête à défaillir, et des larmes commencent à couler sur son visage pâle et maladif). Je ne sais pas pour qui tu te prends mais sache que tu n'es qu'une erreur de la nature. Tu ne mérites pas de vivre tu comprends ? Tu n'aurais jamais dû naitre.

- C'est toi qui ne comprends rien, je rétorque. La vie n'est pas quelque chose qui se mérite : on vit c'est comme ça.

A ce moment là je sais que je viens de prononcer mes dernières paroles. Je vois dans son regard ma propre fin et de ce fait ma victoire. Ce jeu qui s'appelle la vie je l'aurait finalement  gagné contre toute attente. Je mourrais comme ça : le sourire aux lèvres, libre et victorieuse, la tête haute sans m'encombrer un seul instant des sentiments des autres.

Apparemment quand on se fait tirer dessus on n'entend pas la balle qui nous tue. Une seconde on est encore vivant, conscient ou non de ce qui nous attend et la seconde d'après il n'y a plus rien. Enfin c'est ce que j'imagine qui ce passe. En réalité on ne peut vraiment le savoir qu'après l'avoir nous-même expérimenté. Certaines personnes peuvent se consoler en se disant qu'elles ne sentiront rien. D'autre croient en la vie après la mort. Les deux ont tort. La pire douleur n'est pas physique mais mentale. Alors même si la balle traverse ton corps sans son et sans douleur, les instants précédant le tir peuvent rendre fou. Quant à la vie après la mort tout est dans la formulation. Ce concept a juste été inventé pour réconforter les hommes faibles et apeurés.

La balle qui me tuera déchirera mes tissus, percera ma peau et trouera mes os pour enfin aller se loger dans mon cœur. Elle sera rapide, impitoyable et inévitable. Mon sang se déversera alors, encore chaud, trempant mes vêtements et souillant le sol. Je ne serais plus qu'un tas de chair privé de vie gisant au beau milieu d'un parking désert. Mes yeux deviendront vitreux, mon expression se figera à jamais et mes membres s'immobiliseront. Combien de fois ai-je assisté à ce terrible spectacle ? La fin d'une vie est quelque chose de fascinant et voir l'étincelle disparaître des yeux de sa victime a quelque chose de si excitant. Je ne m'en lasserais jamais. J'ai toujours été la spectatrice ou la metteuse en scène de l'assassinat. Aujourd'hui j'en serais l'actrice. Aujourd'hui c'est moi qu'on assassine.

Il paraît que juste avant de mourir ta vie défile devant tes yeux. Il est vrai que quand je vois l'homme amorcer un geste de l'index pour presser la détente j'ai l'impression que le monde s'arrête. Je me revois alors enfant sous le joug de mes géniteurs aussi pathétique l'un que l'autre ; je vois mon oncle à qui j'ai effacé le sourire pour le remplacer par un rictus de souffrance ; je me vois avalant ma première bouteille d'alcool à cinq ans ; je me vois prenant ma première cigarette à neuf ans ; je me vois prenant ma première dose d'héroïne à douze ans sans me douter que j'allais y être accro pendant des années ; je me vois avec Nicki échanger mon premier baiser ; je me vois avec Martin pour ma première fois ; je me vois arrêter mes études pour finir serveuse dans un diner ; je me vois tuant ma première victime ; je me revois en train d'accomplir tous ces crimes comme dirait l'homme en face de moi alors que « ces crimes » sont ma raison de vivre ; je me revois avec Kris. Kris... Ma seule faiblesse que j'ai décidé d'éliminer. Le visage et le nom de mes victimes m'importe peu : je ne me souviendrais que de l'extase que j'ai ressentie à chaque fois que ma lame faisait couler du sang.

L'homme appuie sur la détente. Il est résigné, faisant la dernière chose qu'il voulait faire. Quand la détonation parvient à ses oreilles le dernier morceau de vie qui le maintenait encore debout se brise. Il ne tardera pas à retourner son arme contre lui. Finalement je serais parvenue à le tuer lui aussi. Dévasté par la souffrance, n'ayant plus aucune volonté de vivre il mettra fin à ses jours. Quand il verra le corps de son ennemie tomber sur le sol, privée de vie il ne ressentira rien d'autre que de la douleur et de l'impuissance. Comment continuer à vivre alors ?

Cette fois c'est bon, l'heure a sonné, c'est la fin. Mon rendez-vous avec la mort est sur le point de débuter. Malgré mon statut de victime, c'est mon assassin qui se comporte comme tel. Je n'entends pas la détonation. Je ne sens pas la balle traverser mon corps. Pourtant je le sais : je suis morte. Dans quelques millièmes de secondes je ne penserais plus rien. Mais en attendant je me trouve dans l'entre deux perturbant de la vie et de la mort. Cette sensation est unique. J'ai froid et chaud en même temps. J'ai l'impression que mon âme est violemment arrachée de mon corps, déchirée et broyée. Je peux même voir mon corps qui m'a accompagnée chaque jour de ma vie s'effondrer au ralentit sur le bitume. Plus que quelques millisecondes. C'est la fin. Et tout est bien qui finit bien. Non la princesse n'a pas épousé le prince au terme de l'histoire. Et la méchante sorcière n'a pas été punie. Personne ne vécu heureux et eu beaucoup d'enfants. Une grande gerbe de feux d'artifices ne saluera pas le triomphe du bien. Tout est bien qui finit bien. Comme je me plaît à le  dire :

La mort est parfois la meilleure des fins.

Sans doute vous demandez vous si j'éprouve des remords. Si j'ai une petite pensée pour toutes les personnes que j'ai tuées. Et bien allez vous faire foutre. Cette histoire est la mienne pas la leur. Si vous voulez entendre l'histoire d'un héros justicier ayant les parfaits alliés, la parfaite petite amie et la certitude de gagner à la fin partez. Si vous voulez connaitre le quotidien de mes victimes, banal et ennuyeux regardez votre propre vie. Je ne doute pas que vos pires problèmes sont de décider d'une tenue pour impressionner votre rencard. Enfin pour répondre à LA question, celle que l'homme m'a posée à chacune de nos rencontre sachez que non.

Non. Je n'éprouve aucun remord.

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⏰ Dernière mise à jour : Jul 05, 2023 ⏰

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La mort est parfois la meilleure des finsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant