OS Mozalieri

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Sa plume grattait le papier en reproduisant presque à la perfection le son d'un rongeur. Il était sur le point d'achever une composition que l'empereur lui avait réclamé il y avait déjà quelques semaines. Le compositeur avait alors travaillé d'arrache-pied, quitte à y laisser la plupart de ses nuits, quitte à travailler durant ses rêves. Ces derniers temps, il avait l'impression de décliner, doucement, d'être sur une pente si douce mais si accablante... Il avait peur que l'empereur se lasse finalement de lui, et le renvoie en Italie où il n'avait plus rien. Il comptait sur cette composition qui sera jouée lors d'une réception pour redonner l'essor suffisant à sa carrière, et à son ego. Sa bougie vacillait langoureusement, mais ses sourcils étaient si froncés de concentration qu'il n'y prêta pas attention.

« Et le chant lyrique... Fa... Accompagnement du clavecin en sol bémol..., marmonnait-t-il par intermittence, faisant onduler la flamme de sa seule source de lumière. »

Dans une minuscule gerbe d'encre, il apposait la dernière note de sa partition fièrement noircie. Il posa sa plume d'un mouvement souple, et remit en place les cheveux bruns échappés de son catogan. Un mince sourire ornait ses lèvres fines. Ses yeux rendus encore plus sombres par la fatigue qu'il éprouvait scrutait la dernière feuille de sa partition en même temps que l'une de ses mains battait minutieusement la mesure. Puis il hocha sensiblement la tête, et s'affala sur son fauteuil en défaisant sa lavallière. Il était prêt. Terriblement épuisé, mais prêt. La réception se tenait à la fin de la semaine ; demain il irait présenter à l'empereur le fruit de son travail, il ferait venir la Cavalieri pour travailler avec elle les quelques couplets de sa nouvelle œuvre, et tout devrait être parfait. Alors qu'il réfléchissait consciencieusement à l'organisation de sa semaine, il relâcha ses cheveux bruns du catogan qui les retenait, passant une main entre les mèches pour masser son cuir chevelu. Une légère migraine persistait à l'intérieur de son crâne depuis plusieurs jours déjà, il l'oubliait parfois, mais ce soir, avec le poids de la fatigue, il était difficile de l'ignorer. Il prit la décision d'aller se coucher.

Antonio rangea méticuleusement ses partitions dans l'ordre sur son massif bureau en chêne, referma le couvercle de son piano, et éteignit sa bougie. Quelques rayons de lune parvenaient à traverser ses fenêtres et éclairaient son appartement sobrement décoré et somptueusement rangé. Il se faufilait souplement entre ses meubles et rejoignit sa chambre avec un soupir hésitant entre soulagement et épuisement.

Il se glissait entre ses draps froids en songeant déjà à son prochain travail. Cela faisait déjà un certain temps qu'il n'avait pas composé d'opéra, se contentant de petits concertos et autres arias, alternant avec les cours de musique qu'il donnait à de jeunes gens tout aussi prometteurs qu'insipides. Antonio était las.

« Encore une fois, ordonna le maestro. »

Une jeune femme poudrée hocha la tête en se tenant bien droite à côté du piano où siégeait Antonio. D'un mouvement souple de la main, il indiquait la reprise de la mesure, et se remit à jouer la mélodie joliment mélancolique. D'un regard, il lui demanda de reprendre son chant, ce qu'elle fit sans avoir besoin de l'observer. Elle savait ce qu'elle faisait. C'était La Cavalieri.

Il avait presque l'air satisfait quand ils terminèrent ensemble le morceau. Elle aussi, elle était fière de sa prestation, souriant de toutes ses dents, elle se détourna pour dérober une friandise présente sur le bureau du maestro. Il la regarda faire, silencieux, ne trahissant pas la moindre émotion. Antonio n'aimait pas la Cavalieri. Il l'admirait, elle était la meilleure cantatrice de toute l'Autriche, mais également la meilleure de toute l'Italie, et si pendant un temps, une relation avait su naître entre eux, Antonio ne l'avait jamais aimé.

Correspondance (Mozalieri)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant