Rien n'est plus angoissant que de devoir prendre une décision qui dans tous les cas fera du mal à quelqu'un qu'on aime. Je ne ferme pas l'œil de la nuit tant je me sens prise entre deux feux. Partir ou rester, telle est la question. Au petit matin, l'évidence semble s'imposer à moi : je dois partir avec Théo. C'est lui mon avenir, tous les enfants du monde quittent un jour leurs parents, non ? La plupart de mes amies de lycée ou même de fac ont quitté Lyon après avoir trouvé un job, alors pourquoi moi je reste ici si de meilleurs opportunités m'appellent au Havre ? Si je dansais encore à un rythme régulier j'aurais une raison de rester mais là, qu'est ce qui me retient ? Travailler dans la boutique de ma mère est, certes, bien payé mais ce boulot est bien en dessous de mes capacités au vu des diplômes que j'aie en poche. Toutefois une question subsiste, suis-je capable de quitter définitivement la ville qui m'a vue grandir ?
Quand Théo commence à bouger à mes côtés, je fais mine de dormir. Je ne suis pas encore prête à l'entendre me parler à tout va des meilleures occasions immobilières du Havre. J'ai besoin de réfléchir à comment je vais annoncer ça à mes parents. Comme presque toujours quand j'ai besoin de réfléchir je pars courir un peu dans les rues encore silencieuse de la ville à cette heure matinale. Et, comme par hasard après un petit quart d'heure de course, je me retrouve devant l'école de mon père. Elle est encore fermée à cette heure ci mais une vague de nostalgie mêlée au regret me pousse à sortir le double de la clé qui ne me quitte jamais. Je me glisse à l'intérieur du hall et balaie la pièce sombre du regard. Malgré la semi obscurité qui y règne à cause des stores fermés, je suis capable de dire avec exactitude où se trouve chaque objet tant j'ai repassé dans ma tête encore et encore ma venue de la veille.
Mon ventre gronde pour me rappeler que je viens de fournir un effort physique important sans avoir rien avalé ce qui me pousse à me rendre dans la salle de pause du personnel de l'école où je déniche quelques biscuits que je grignote en m'enivrant de l'odeur rassurante et familière du lieu. J'hésite à me faire un café quand mon regard tombe sur une paire de chaussures de danse appartenant probablement à Chloé vu la taille, qui trônent aux pieds d'une chaise. Une petite voix dans ma tête me hurle que c'est ma dernière chance, que d'ici quelques semaines je serais probablement à l'autre bout de la France chose que je compte annoncer à mes parents aujourd'hui, et je sais pertinemment que je n'aurais pas le courage de remettre les pieds ici après ça. J'hésite une fraction de secondes avant de m'asseoir sur la chaise pour retirer mes baskets et enfiler la paire de chaussures. De toute façon, je n'ai plus rien à perdre. Une fois prête, je retire la veste de mon survêtement pour ne garder que mon legging de sport et mon débardeur, je remonte ma queue de cheval en un chignon serré.
C'est emplie d'une détermination nouvelle que j'entre dans l'une des salles de danse et ouvre les stores avant de faire défiler la liste des musiques sur l'écran de la tablette reliée aux enceintes. Quand j'ai trouvé celle que je cherchais, je la lance immédiatement avant de changer d'avis et me laisse porter par le son et le claquement de mes talons sur le parquet impeccable de la salle. Je commence par faire quelques pas de côté, pratiquement du sur place, le temps de trouver le rythme et de laisser la musique démarrer, quand je sens le tempo s'accélérer, je fais quelques pas de salsa de base, un peu maladroitement je dois le dire, et, quand je me sens à l'aise, j'enchaîne sur des pas plus complexes, jusqu'à perdre totalement la notion du temps et de l'espace et laisser mon inconscient me guider.
Plus rien ne compte à mes yeux en dehors de la joie immense que me procure cet instant hors du temps, il n'y a que moi, la salsa et la musique. J'ai rapidement fait le tour de tous les pas en solo que je connais et enchaîne donc sur des pas de couple avec un homme qui n'existe que dans mon imagination pour pouvoir diversifier un peu mes mouvements qui deviennent rébarbatifs. Je sais très bien que je ne fais pas tous mes pas exactement comme il le faudrait, que j'ai beaucoup perdu et que je suis loin de mon niveau d'avant mais je m'en moque complètement. L'euphorie que je ressens en dansant enfin après tant d'années compense tout et, quand la musique s'arrête, j'ai l'impression de retomber brusquement sur terre après être montée haut dans le ciel.
Complètement essoufflée après cet effort autant physique qu'émotionnel, j'essaie de réguler ma respiration quand j'entends de lents applaudissements dans mon dos. Je fais immédiatement volte face, m'attendant à voir mon père, Isabel ou encore Chloé mais non. C'est un homme qui doit avoir environs mon âge, peut être un peu plus vieux, qui me contemple avec un sourire ironique.
- Quelle surprise mon dieu ! Lola Martinez en personne dans une salle de danse ! Qui l'eut cru presque dix ans après qu'elle ait disparu complètement de la circulation.
Le ton de mon interlocuteur me déplait à la seconde même où il ouvre la bouche, le sarcasme est clairement présent dans sa voix. Je redresse le menton et lui jette un regard noir avant de faire quelques pas dans sa direction, calme mais avec une attitude très dominatrice. Je suis ici pratiquement chez moi, je ne vais pas me laisser marcher sur les pieds sur mon propre terrain.
- Je peux vous demander votre nom ? Il faut quand même avoir un sacré culot pour se permettre de venir me faire la morale ici, dans l'école qui appartient à mon père !
- Oh pour vous Princesse, ce sera Monsieur Scott si ça ne vous dérange pas bien sur ! Un sacré culot ? Sérieusement ? C'est bien Lola Martinez qui me parle de culot ? Ecoutez moi bien Miss Perfection, quand vous serez irréprochable vous pourrez venir me faire vos grands discours. Et, pour information, je danse ici depuis sept ans alors votre père je le connais bien croyez moi !
- Vous pouvez toujours courir pour que je vous appelle monsieur espèce d'abruti ! Qu'est ce que je vous ai fait hein ? On ne se connaissait même pas il y a deux minutes ! Votre maman ne vous a jamais appris à laisser les gens en paix quand ils dansent ?
Immédiatement à mes mots, le visage de ce fameux Scott se durcit et il fait quelques pas dans ma direction, comme pour me défier.
- Vous appelez ça danser ? Faire vos pas, et encore pas correctement avec votre ami imaginaire ? Votre papa ne vous a jamais appris que la salsa, comme la grande majorité des danses de salon se dansent en couple entre deux personnes physiquement présentes dans la salle ?
- Je ne vous permet pas de juger !
- Je n'ai pas besoin de votre permission je vous rassure tout de suite ! Mais peut être que vous n'êtes plus capable de danser vraiment, dix ans sans danser ça fait quoi ?
- Vraiment, vous devriez aller voir ailleurs si j'y suis ! Et pour votre gouverne, je suis parfaitement capable de danser en couple !
- Vraiment ?
Il me scrute de haut en bas, me jaugeant presque avant de hausser un sourcil et de me tendre la main en lançant sur un ton de défi :
- Si vous le dites, alors prouvez le.
Je le dévisage un moment, hésitant entre accepter son défi et lui en coller une avant de finalement saisir sa main et plonger mes yeux dans les siens d'un noir profond et de me noyer pour la première fois dans son regard alors que la musique reprenait...
A suivre...
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Salsa Attitude
Novela JuvenilLola a un don pour les danses latines, et en particulier pour la salsa. Elle est en bonne voie pour participer aux championnats du monde junior à 15 ans quand son partenaire se blesse gravement et doit arrêter définitivement la danse. Traumatisée pa...