7. Partagé et brisé

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7. Partagé et brisé

J’ouvrai les yeux et la vit s’étirer comme un chat à mes côtés. Ce n’était pas un modèle de mode, mais j’appréciai la félinité quelle dégageait. Une telle assurance était rare chez une femme. Non pas qu’elle avait une assurance incroyablement puissante, non. Son assurance avait de rare sa mise en action. Contrairement aux femmes qui, imbues d’elles-mêmes, se mettait sans cesse ni modération en valeur et magouillaient toujours pour rester sous les projecteurs, elle se fichait des apparences. Ce que les autres pensaient d’elle, elle s’en fichait royalement. Elle était coquette mais discrète, comme pour elle seule, riait avec autant de franchise qu’elle engueulait, sans jamais peser ses mots ou cacher sa joie. En gros, elle ne se prenait pas la tête avec ce qui était éthique, ce qui était moral ou ce qui était honorable. Non, elle profitait sans complexe, comme si elle avait décidé de profiter de sa vie sans laisser personne lui entacher son existence.

Je la vis se lever, dans le plus simple appareil, sans pudeur ni ostentation. Alors que mes yeux se baladaient sur son dos, ses fesses et ses jambes, elle récupéra ses affaires et s’habilla sans précipitation. Calme comme à son habitude et totalement silencieuse. Je savais qu’elle n’engagerait pas la conversation. Ce n’était pas une de ses personnes qui détestaient le silence et qui préféraient s’entendre parler. Elle aimait autant le silence que la conversation, quand cette dernière était utile. Je savais qu’elle n’engagerait pas la conversation, alors je lui posai la question:

«Tu dois y aller?

- Oui. Rien n’est éternel.

- Je dois y aller aussi... On se revoit quand?

- Quand l’envie nous prendra.

- Bientôt alors.»

Elle finit de boutonner son veston, s’approcha de moi avec un sourire et un regard pétillant, et m’embrassa. Sa douceur avait tout du paradis. Qu’est-ce que je n’aurai pas donné pour une heure de plus dans ses bras? Elle sortit en m’adressant un dernier sourire. Et je passai la même porte une demi-heure plus tard, habillé, frais et dispo pour cette nouvellejournée de boulot. Un déjeuner d’affaire et une réunion sans aucun sens ni but. Ce fut donc fourbu que je rentrai, des milliards de questions dans la tête.

Quand je passai enfin la porte, une douce odeur de thym et de tomates cuites emplie mes narines.

«Chérie?

- Non, c’est moi.» me parvint de la cuisine la voix de Marie, ma fille.

«Bonsoir ma puce. Qu’est-ce que tu nous cuisines de bon ce soir?

- Un chili con carne un peu modifié.»

Marie portait son tablier de toutes les couleurs. Qu’elle était grande! Je me retrouvais encore une fois dans la peau du père qui n’avait pas vu combien ses enfants avaient grandi. Mes enfants… Je sentais mon cœur se serrer mais n’en montrai rien. Je m’approchai pour l’embrasser sur le front comme à l’accoutumée. Mais elle fit une grande enjambée de recul pour m’échapper et me dit avec un air de dégout sur le visage:

«Va-t’en. Tu sens encore le parfum de cette femme. Je vois que tu as bien profité de ton ‘séminaire d’entreprise’. Va prendre une douche avant que Maman ne rentre.»

Et elle me tourna le dos pour remuer son plat. Je voulus répliquer, totalement choqué par ce qu’elle venait de me dire. Mais son regard quitta un instant sa préparation pour me fusiller sur place. Je restai hébété. Depuis quand ma petite fille brûlait-elle d’autant de colère? Elle avait raison, j’étais coupable. Mais je restai tout de même son père.

La fille mosaïqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant