1. PARMI LE SANG ET LES FLAMMES

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D'aussi loin que ma mémoire me le permet, je me suis toujours projeté parcourir Bordeciel. Une bien étrange ambition pour un altmer versé comme nombre de mes confrères dans les arcanes de la magie. Seulement, outre ses races inférieures et ses guerres d'une importance proche de l'Oblivion, j'ai pu, au fil de mes lectures, découvrirent d'autres aspects méconnus et pas moins intriguant de ces terres lointaines. Des vestiges oubliés dont les ravages du temps ne serraient ternir leur intérêt. Nos ancêtres les dwemer sont un bon exemple ; leur disparition aussi soudaine qu'inattendue durant la seconde bataille du Mont Écarlate a soulevé certains mystères que seules leurs cités enfouies peuvent encore révéler. Ainsi naquit ma passion pour cette civilisation, qui ne cessa de croître d'ouvrage en ouvrage jusqu'au point de non-retour. Mon départ de l'Archipel de l'Autonome se fit un matin brumeux, sans un adieu ni même quelques personnes disposées à déplorer mon absence.

Une jeunesse entière à fantasmer le Vieux Royaume et voilà que je désenchante aussitôt un pied aventuré dans ses contrées. Je ne me laisse pas capturer facilement, mais contre une embuscade entière d'impériaux fermés à la discussion autre que celles dictées par l'acier, aucun sortilège ne peut plus me tirer d'affaire. Un malheureux hasard qui me coûte cher, et avant de pouvoir souffler mot, le plat d'une lame me plonge dans le vide de l'inconscience.

Les remues de la charrette me réveillent. Dépouillé de mes biens, en tunique de jute et entouré de sombrages faits prisonniers, nous voilà escortés jusqu'au billot d'Helgen. À ma droite, bâillonné car sa voix réputée plus redoutable que le tranchant d'une rapière, Ulfric Sombrage, le leader de cette rébellion, accepte son sort dans la dignité. Avec lui le conflit qui gangrène la Terre-Mère s'éteindra, et par la même, l'empire pourra réaffirmer son joug. Une pensée risible me parcourt. Ne pouvais-je donc pas attendre demain pour quitter Solandie ?

Le cortège progresse entre les rues pavées de la bourgade. J'entraperçois en retrait une délégation du Thalmor sans grand espoir de les voir voler à mon secours ; si le Domaine d'Aldmeri se souciait de ses sujets marginaux, j'en aurais eu vent. Arrivée sur la grande place, on nous fait descendre et aligner pour ordonner l'exécution. De courts sermons, un peu de clameur et quelques rites écourtés par l'impatience d'un nordique provocateur jusqu'aux portes de Sovngarde. Enfin, je suis placé à la merci du bourreau lorsqu'une pensée me traverse. Quel titre trouverait un barde à ma balade ? Je crois avoir une idée. La plus brève excursion en Bordeciel... Je songe dans un soupir.

Ses ailes sombres voilent l'horizon en se posant sur la plus haute tour de la ville. Aussi grand qu'un géant, plus large qu'un chêne renversé, son arrivée soulève la peur, car sa présence appelle le retour d'un âge condamné à la braise et à la cendre. Dans le ciel que son cri vient d'agiter, il s'envole pour répandre la mort, lui, le premier dragon vivant aperçut depuis l'ère Méréthique.

Le chaos est instantané. Les vies sont fauchées par le monstre dans une facilité affolante que ni les flèches ni les éclairs de sorciers ne semblent entraver. Mais au milieu de l'hécatombe, je reste lucide : une telle chance ne se représentera pas deux fois. Je dois fuir, soutenu par impériaux ou sombrage, la différence ne m'importe que peu. Face au choix misérable de mon parti à prendre, je préfère la compagnie d'Hadvar l'impérial. Je laisse à Ralof, le sombrage qui partageait ma charrette, le soin de s'en tirer par ses propres moyens. L'aversion de cette faction envers les races autres que nordique n'est plus à présumer, mais sur nos chemins divergeant, je promets tout de même d'emporter avec moi la sympathie de ce soldat.

Les entrailles d'Helgen sont un gruyère de couloirs, salles recluses et réserves dérobées. C'est dans ces boyaux que les combats reprennent, aucune légende exhumée en mesure de suspendre ne serait-ce que l'espace d'un repli la querelle intestinale qui ronge les habitants de cette province insensée. Je n'y réchappe pas et dois à mon tour me mêler aux affrontements. Mes mains enfin libres crachent de quoi raviver à mes opposants le souvenir de ce qui gronde à la surface. Sur ce torrent de flamme, je nous déroule un tapis de sang. Puis, filtrée par une brèche dans les souterrains que nous arpentons, la lumière du jour nous parvient. Je m'y engouffre sans hésiter.

Je me nomme Rivendel, Haut-Elfe de Lillandril,et à ce 17 Vifazur de l'année 201 du quatrième âge, pour mon premier jour en Bordeciel, je viens de réchapper à un dragon.

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⏰ Dernière mise à jour : Oct 31, 2022 ⏰

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