La Boîte de Pandore

0 0 0
                                    

16 Mai 1970 - Berlin Ouest

Un caillou transperce violemment la vitre d'une fenêtre. Des enfants partent se cacher en courant, attentifs à ce qui pourrait se passer. La légende urbaine dit de cet immeuble qu'il abrite des fantômes et qu'à la nuit tombée, on voit des ombres en sortir. Un jeune garçon un  peu plus téméraire saisit une nouvelle pierre qu'il lance du haut de ses onze ans sur une des portes d'entrée. Elle rebondit sur le sol dans les cris de victoire du petit groupe. Ils dansent en file indienne en mimant les chants guerriers du grand chef Sioux.

Cette zone désaffectée est un terrain de jeux idéal pour les petits berlinois. Derrière cette grand bâtisse, c'est l'Est. Les premiers jours après la construction du mur on pouvait encore passer d'un côté à l'autre de la ville par ces appartements. Mais très vite l'exode a pris un essor imprévisible. Beaucoup avaient compris que la promesse d'un monde parfait était avant tout un moyen d'enfermer son peuple dans une dictature d'un genre nouveau. II n'y avait pas de hauteur limite pour sauter. Il fallait juste fuir. Rester à l'Est, c'était déjà mourir. L'armée est arrivée un matin pour murer intégralement ces immeubles frontières. Certains se sont même retrouvés prisonniers du No man's land d'entre deux murs.

Quand on est enfant, on se dit que tout cela n'est pas réel, qu'il suffirait juste de rentrer dans cette bâtisse pour trouver des secrets, des monstres dangereux et des héros qui viendraient libérer tous nos frères volés. Il y a dans ce petit groupe, des regards effrontés, comme ceux qu'avaient les aventuriers du pays imaginaire. Ils marchent vers un petit escalier qui descend jusqu'à une porte condamnée, empêchant ainsi l'accès aux caves. Malgré leurs efforts, ils n'arrivent pas à l'ouvrir. Une demoiselle repère un vasistas beaucoup trop fin pour le traverser mais en parfait état pour observer l'intérieur de la pièce. Le nez collé contre les carreaux, elle scrute avec ses amis, les moindres recoins. Il n'y a pas d'issues visibles, dirait-on. Ils rient de ce jeu malicieux quand le visage d'une femme apparaît soudain de l'autre côté de la vitre. Les marmots hurlent de peur devant cette silhouette grise comme un fantôme d'opéra, qui s'approche vers eux. Ils s'enfuient sans demander leur reste. L'aventure attendra. Le petit groupe disparaît dans les ruelles avoisinantes, direction les jupes de maman, bien au chaud, protégés. À l'intérieur de la cave, Cristina Freudiger se recoiffe en riant. Ces enfants ne sont pas méchants, juste un peu turbulents voilà tout. Les cheveux détachés et le tour des yeux maquillés, l'agent de la Stasi est une femme différente. Elle ouvre la porte soi-disant condamnée et remonte rapidement dans la rue. Le passage secret se referme automatiquement derrière elle sans laisser la moindre trace de mouvement.

Vêtue d'une petite robe courte légèrement moulante, Cristina se fond à merveille dans le style moderne des filles de l'Ouest. La Stasi a ses portes d'entrées pour naviguer incognito d'un côté à l'autre de Berlin. Cristina savoure ces instants de libertés où le regard des hommes se posent sans vergogne sur ses formes parfaites. La dame est belle, effrontée et maligne. C'est donc ça son vrai visage. Elle garde malgré tout dans son sac à main, un Walther PPK, une arme discrète et efficace, parfaite pour ce genre d'excursions. L'Ouest respire la liberté dans un déluge de couleur et d'excentricité. L'amour s'affiche à tous les coins de rues, sur les affiches de cinéma, dans la musique qui s'échappe des échoppes. Pourtant les titres des journaux font état de cellules révolutionnaires appelant à la lutte armée, d'une police ultra violente, des dérives du capitalisme, de la libération d'Andreas Baader.

Cristina accélère le pas. Le collège libère ses élèves à 14h00 précise. En cas de retard, elle ne sera plus là. Le temps presse, l'urgence est là. D'un pas rapide, elle fend le bitume radieuse et gracieuse. Elle croise déjà de jeunes étudiants dans les rues adjacentes. Et si il était trop tard ? Elle retire ses chaussures à talons et commence à courir pieds nus sur le bitume. Un vieil homme referme les grilles sur un parvis désert. Elle regarde autour d'elle, la vue brouillée par l'effort. Elle cherche une silhouette. Ses yeux balaient l'espace dans des mouvements saccadés et rapides. L'école est fermée. Mission échouée. Là ! Une femme et sa fille marchent d'un pas rapide. La mère est nerveuse, constamment sur ses gardes, la peur dans le regard. C'est elle. Cristina remet rapidement ses chaussures et emboîte le pas derrière elles, en prenant soin de ne pas trop se faire remarquer. Au bout de quelques minutes la mère et sa fille rentrent dans un gymnase de quartier. Au milieu d'autres parents, elles arborent fierté et dignité. Les épaules en arrière, la poitrine en avant, à 46 ans, Elena Ziegler a toujours cet aura magistrale, ces restes de femme fatale. L'héroïne est enfouie mais son regard de guerrière impressionne de prime abord.

CHECKPOINT CHARLIE Où les histoires vivent. Découvrez maintenant