1 - Nativité

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Jour 1 – Le premier du reste de sa vie : celui de sa naissance !
Je ne me souviens plus de l'heure exacte.

Il nait un jour de pluie – quand d'autre sinon ? Il nait comme ça, sans crier gare. Je n'étais pas préparé ; aussi, je ne comprends pas ce qui me tombe là, entre les bras, au creux des mains.
Et, avant même d'y avoir réfléchi, je l'étouffe.
Je suis le déni de grossesse !

Oh, ne me jugez pas ! Personne ne peut juger, car personne ne peut comprendre. C'était une chose si laide et si sale que cet ennui-là !
Les mains autour de son cou, je réalise : on ne peut détruire ce qui n'a pas été nommé, puisque c'est le nom qui insuffle la vie, confère un corps et une âme, le droit d'exister aux yeux des autres.
Parce qu'il se bat pour sa survie, sa liberté, je suis tenu de lui trouver un nom, et désormais mettre une majuscule à « ennui » !
Voici donc la biographie de l'Ennui.

Comme toute vie, sa naissance est insondable ; comme tout ce qui vit, il lui faudra mourir, et que cela se fasse dans des conditions toutes aussi obscures – sinon plus, je lui dois bien cela ! Sa fin ne peut venir que de moi. C'est mon souci, ma responsabilité, je ne peux m'y soustraire. Je dois faire ça vite et bien, sans risquer de complications, aucune séquelle – ni pour lui, et surtout pas pour moi ! – ; alors je m'applique, consciencieusement, je m'acharne sur l'Ennui ! Encore et encore, tandis que je le sais s'accrocher, le sentant se débattre à l'intérieur du cercueil vivant que sont devenues mes mains.
Subitement je souris, la folie chevillée au cœur. Je ris devant l'ironie du sort : moi qui en ai condamné plus d'une, là, c'est moi qui suis l'infanticide ! J'exécute, seulement en proie à l'anxiété et à la solitude, au désespoir, à toute une succession de délires qui me fendent le crâne et brûlent ma peau de remords. Déjà, les jointures de mes doigts blanchissent à force de serrer si fort.
Dans la panique, j'essaie de me rassurer. Aussi vite, je me convaincs : offrir la mort à une chose à laquelle on a donné la vie, et qui finalement ne nous satisfait pas, est somme toute compréhensible. Condamne-t-on l'écrivain qui tue, après quelques pages de gestation, l'œuvre dont il vient d'entamer la rédaction, justement parce qu'elle ne lui convient plus, et qui, en le déshonorant, déshonorerait son lectorat ? Non ? Alors ! Oublions tout cela ; et voyons comment, de mes propres mains, je peux supprimer l'accroc du canevas de ma vie. Qu'il ne reste de son existence qu'un repentir – sinon sincère, pour le moins nécessaire !
Et voilà que l'acte le plus inhumain, si souvent réprouvé, m'apparaît soudain d'une légitimité déconcertante – puisqu'aveuglante ! Encore une poignée de secondes, l'Ennui commence à donner des signes de faiblesse. Bientôt, il cessera de vivre et j'en serai débarrassé. À tout jamais !
Dehors, la pluie tombe dru.
Il se met à tonner.
L'Ennui meurt avec le premier coup de foudre. Rien d'étonnant à cela : tout fait naufrage les nuits d'orage !
Un second éclair, ombre et lumière inondent ma chambre ; j'ouvre les doigts. Au creux des paumes, j'avise deux perles de sang qui font comme des stigmates. Un signe divin, une épiphanie ; la preuve que je viens de commettre le crime le plus absurde qui puisse être confessé. Alors, au repentir, succède la repentance : je me lamente !
Je crois que cela sera bon.
Donc je me couche.

Biographie de l'EnnuiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant