Chapitre 1 : April

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Il faisait encore noir lorsque April ouvre les yeux. Les lumières de la ville rebondissaient partout dans son appartement alors que le ciel ne brillait d'aucune étoile. Par la seule fenêtre de l'endroit, elle pouvait voir le trafic qui ne s'arrêtait jamais. Quitte à ne plus réussir à dormir, autant sortir. April enfile par-dessus son t-shirt une grosse veste en nylon ainsi qu'une micro jupe. Elle attrape une paire de chaussures quasiment au hasard avant de quitter son minuscule appartement. Elle prit les escaliers de l'immeuble avant d'enfin sentir un courant d'air frais sur son visage. Elle se dirige alors vers le commerce le plus proche et y achète un café glacé avant de ressortir. Elle n'avait pas vraiment de but à cet instant précis, il était trop tôt pour qu'elle commence à travailler, mais elle n'avait pas grand chose de mieux à faire. Elle décide de continuer un peu sa promenade, bien que son quartier ne soit pas le plus agréable. Des routes passent au-dessus de sa tête, cachant le ciel, la plupart des réverbères sont grillés et l'odeur est comparable à celle d'une décharge. "Le progrès..." pense April en regardant les gratte-ciel se découpant au loin. En soit, rien ne l'empêchait de les rejoindre, atteindre les quartiers des corpos et des commerces, mais elle ne se sentait pas tellement d'y aller. Tôt le matin, ces endroits sont encore inhabités, ce qui leur donne une allure plutôt lugubre. Elle finit par trouver quoi faire : si elle se rendait à pied à son lieu de travail, elle en aurait pour une heure, le temps qu'elle s'assoit au bar à côté pour fumer une cigarette et il sera presque temps de commencer la journée.

April entame donc sa longue promenade, passant par des rues et des avenues plus sombres les unes que les autres. Plus elle s'éloignait de son immeuble et moins les bâtiments lui étaient familiers, plus les regards qu'elle croisait lui semblaient étrangement hostiles. Elle réussit au bout d'une cinquantaine de minutes à atteindre le bar situé à l'angle de la rue où se trouvait son travail. Elle connaissait plus ou moins le patron qu'elle rencontrait régulièrement lorsqu'elle allait boire un verre avec ses collègues. Cependant, ce matin il n'était pas là. A sa place, un jeune serveur à l'allure frêle l'accueilla. D'une voix grinçante, il la salua avant de lui tendre une carte des boissons. Sans même s'en saisir, April passe commande d'un deuxième café glacé. Le jeune homme ne tarda pas à lui apporter, et, en commençant à siroter, elle observa l'environnement autour d'elle. Les lumières vives des néons et les tâches d'alcool sur les sièges la ramenaient à n'importe quelle soirée un peu banale, mais cette fois-ci c'était la journée qui commençait. Une autre cliente était là, accompagnée d'un homme plus âgé. Les deux avaient le visage très fermé et n'échangeaient pas un mot, absorbés à siroter des sodas probablement dilués. L'homme avait une allure de motard, mais les nombreuses modifications corporelles qu'il portait à tout endroit de son corps lui laissa deviner qu'il s'agissait probablement d'un cyberpunk. Elle n'avait pas grand chose à faire de cette information, les cyberpunks et autres netrunner couraient les rues dans ce genre de quartier, elle les côtoyait au quotidien tout en sachant qu'elle était trop peu intéressante pour être leur cible, elle n'avait donc rien à craindre. Elle finit son café avant de se diriger vers son lieu de travail, quelques mètres plus loin. Elle entra par une porte entre deux boutiques à la devanture en lambeaux. Elle traverse ensuite un couloir dont la lumière émet un grésillement désagréable avant de rentrer dans une espèce d'arrière boutique où régnait le désordre. Elle en souleva le rideau et pencha sa tête de l'autre côté. Son boss était déjà là, occupé à bidouiller elle ne savait quoi sur un ordinateur.

"Yo Brice."

Il leva la tête de son ordinateur et salua brièvement April avant de se replonger dans son travail. Elle vint s'asseoir à la même table que lui et prit son propre ordinateur qu'elle avait oublié sur place la veille. La salle était peinte d'une couleur orange défraîchie, des tas de magazines porno s'accumulent dans tous les coins, tels de vieilles reliques d'une époque passée. Sur les murs, entre deux tableaux aidant l'équipe à s'organiser, était accroché un seul cadre contenant une photo de plage, paradis aussi lointain que perdu. L'endroit n'était pas spécialement accueillant, ni confortable. April travaillait depuis une chaise de gaming d'une autre époque. Rien de tout ce que l'on pouvait trouver dans cette pièce n'avait moins de 20 ans, sauf peut-être les ordinateurs et appareils photos, et encore.

Après avoir sorti son ordinateur elle se mit à la tâche, c'est-à-dire trier des photographies. Elle travaillait dans la dernière édition de magazines porno du pays. A l'heure où l'intelligence artificielle permet d'accéder à tous ses fantasmes les plus fous, et dans les meilleures conditions possibles, autant dire que regarder quelques filles nues sur du papier n'est plus tant recherché. Pourtant quelques nostalgiques s'amuse à collectionner ces journaux, ou bien ils sont aussi appréciés par les plus pauvres. En résumé, le travail d'April n'a pas énormément de succès mais assez pour qu'elle puisse survivre. Elle devait photographier les modèles puis trier et traiter les photos. Elle allait donc passer sa journée à regarder des images de filles en petite tenue et dans des poses suggestives afin de trouver les meilleurs clichés pour sa maigre clientèle. Souvent, ces filles étaient gentilles, timides et ne savaient pas trop s'y prendre. En même temps, le job de modèle pour ce genre de magazines n'est pas très commun, et les filles qui le font le font uniquement pour l'argent, bien que ce n'était pas ce qu'il y avait de mieux rémunéré, mais quand tu cherches à arrondir tes fins de mois, tu prend ce qu'on te propose. April elle-même avait accepté ce métier par dépit. Son rêve était de faire de la conception 3D. Faute d'avoir pu accéder aux bonnes écoles, bien trop coûteuses, elle s'est retrouvée à utiliser ses qualités artistiques pour de la photographie de charme. Au moins, elle avait un emploi, pour l'instant stable et avec des collègues sympas. Les modèles qu'elle rencontrait étaient parfois elles aussi de belles rencontres, bien que ne durant jamais. Elle avait été en couple pendant 9 mois avec l'une d'elle, mais sans succès. April était quelqu'un de difficile en amour, elle ne savait jamais vraiment où elle allait. Pour l'instant elle n'avait personne dans sa vie et ça lui allait très bien comme cela. Sa troisième collègue, Cassie, ne tarda pas à arriver. Elle commençait toujours sa journée de travail avec beaucoup d'entrain, apportant un rayon de soleil dans cet endroit à la limite du glauque. Elle s'occupait de la mise en page du magazine, pendant que Brice s'occupait de l'aspect commercial du magazine. Chacun à son travail à faire, et le fait avec soin. Le magazine ne connaît peut-être pas un grand succès, mais il est au moins de qualité, et est fait avec amour. La seule chose qu'April aimait dans son travail, c'était le produit final, ce contact avec le papier. Elle était une grande nostalgique d'une période qu'elle n'avait pas connue : le règne des librairies et des boutiques à bibelots en tout genre. A l'heure où tout se dématérialise, où l'on a plus besoin de voyager pour se retrouver en haut de l'Himalaya, où l'ensemble du patrimoine culturel humain peut se trouver d'un glissement de doigt sur un écran, elle aimait ce côté matériel du magazine que l'on pouvait feuilleter, voir déchirer. Elle collectionnait même chez elle les bibelots en tous genres qu'elle trouvait dans quelques rares boutiques d'antiquités. En y pensant, elle se dit qu'elle irait bien y faire un tour après le travail. Mais bon, la journée était loin d'être finie car le prochain numéro du magazine devait sortir dans une semaine et elle n'avait même pas fait un tiers de tout ce qu'elle devait faire. Alors elle se replongea dans la centaine de photo qu'elle avait à trier. 

Vers midi, Brice quitta la pièce avant de revenir avec un sac contenant des boîtes de nouilles chinoises. Ses deux collègues le remercièrent et tous partagèrent le repas dans le silence, avant que Cassie n'intervienne :

" Ce soir on va se boire un verre au Barnum ?

Un peu de sérieux, on est en retard dans ce qu'on a à faire pour l'édition du mois prochain, ce soir tu devrais plutôt faire des heures sup." Répondit Brice d'un ton sérieux. Cassie se tourna vers April, tentant d'obtenir son soutien.

"Pas ce soir, j'ai déjà des plans.

Et il a un nom ce plan ?

Des plans toute seule, imbécile..."

Les deux jeunes femmes rirent légèrement, mais effectivement, ce soir April sortirait seule. 

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⏰ Dernière mise à jour : Nov 05, 2022 ⏰

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