Lune pleine. Elle s'avance sur ce chemin qu'elle pourrait empreinter les yeux fermés. Tant de fois que ses pieds fatigués ont foulé cette terre humide, le jour déclinant au loin derrière la forêt. Elle reconnait le banc. Témoin de ses nombreuses retraites, dépeintes par le silence et l'agitation. Mis en lumière par ce longiligne et habituellement solitaire lampadaire. Mais ce soir il n'est pas seul. Une silhouette lui fait écho. C'est lui. Figé entièrement, excepté le regard, qui se pose successivement sur elle, le sol, l'horizon. Les cœurs sont agités, pourtant les corps ne laissent rien transparaître. La démarche reste la même, sereine et assurée. Elle arrive à sa hauteur.
« -Je te cherchais, lui dit-elle.
Un silence.
-Je t'attendais, répond-il »
Leurs yeux se cherchent, se rencontrent parfois, s'électrisent, se chargent de doute et se détournent, déçus. Ils sont plantés l'un en face de l'autre. Calmes. Calmés par le temps. Traces de désespoirs déchiffrables sur le visage. Récents et anciens. Quand tout cela a-t-il commencé ? Il y a un an peut-être. Amnésie. Qu'y avait-il avant ?
« -Je ne parvenais pas à dormir, articule-t-elle doucement
-Moi non plus, murmure-t-il
-Je viens souvent ici, bercée, ou emportée par un élan d'infini. L'étendue m'écoute et m'apaise.
-Je sais. »
Elle attrape alors son courage. Qu'a-t-elle donc à perdre ? Tout. Lui. Mais le temps ravage et lasse. Elle ose donc le fixer à présent. Mais ce ne sont pas ses yeux qu'elle regarde. Après quelques esquives de sa part, il cède, se laisse envahir. Elle est déjà loin. Ils demeurent ainsi. Il n'y a qu'eux et la planète. Statues de chair. La pièce est terminée. Elle ne peut plus mentir. Applaudissements des feuilles froissées par le vent. Elle enlève le costume, pourtant aucun mot ne s'en libère. Tout ce qu'elle a écrit, peint, hurlé, déchiré, pleuré des mois durant ne sort plus. Mais les yeux parlent. Tristes et brulants. La passion pansée par sa présence. Puis par l'assortiment des intentions. Le timide espoir qui l'a fait survivre jusqu'ici, n'a nul besoin de renaître, la question ne se pose plus.
Il comprend. Il se met alors à fredonner un air. Un de ceux qui ne parle qu'à eux. La voix tremble. Elle comprend. Sa voix glisse à son secours. Se mêle à la sienne. Puis leurs corps se mettent en mouvement. Petits gestes saccadés d'abord, plus amples au fur et à mesure que l'émotion les guident. Lui se lâche réellement, enfin. Elle le contemple et le suit, ravie. Ils s'imprègnent l'un de l'autre et se libèrent de la méfiance passée. D'une seconde à l'autre, l'expression du visage se mue, en une nouvelle toile toujours plus sensuelle et inspirée. Ils s'accordent dans un tour de piste, une ronde de vie, un dessin d'éternité.
Ils se frôlent parfois. Frissonnent et s'éloignent un peu. Puis s'attirent à nouveau. De plus en plus proches. Les mains se touchent. Puis se prennent. Ne se lâchent plus. Viennent migrer dans son cou. Les doigts effleurent sa joue. Lui caressent les cheveux. De plus en plus proches. Les pas ralentissent. Et là, ils réalisent. Il y a si longtemps qu'ils attendent. Tout s'éclaire. Ils savent. Où qu'ils soient, quoi qu'ils fassent, quel que soit l'avenir, à présent, ils savent. Elle est prête à tout. Il ne l'abandonnera pas. En cette nuit estivale et profonde, quiquonque les apercevrait saurait lire sur leur existence, blême, ces mots simplement : « je t'aime ».