Les Ombres d'Emma

10 0 0
                                    


Emma et Anna étaient inséparables. Jumelles identiques, elles partageaient tout : la chambre, les goûts, les secrets. Pourtant, elles étaient le jour et la nuit. Emma était une jeune fille réservée, qui se tenait toujours en retrait, obsédée par l'idée de ne jamais être à la hauteur. Anna, en revanche, brillait comme un soleil. Réussite scolaire, talent artistique, popularité... Tout semblait lui sourire.

Leur entourage ne pouvait s'empêcher de les comparer. « Pourquoi ne fais-tu pas comme Anna ? » était une phrase que Emma entendait souvent. Chaque fois, elle baissait la tête, honteuse. Elle admirait sa sœur, mais chaque réussite d'Anna était un rappel cruel de ses propres échecs.

Un soir, Emma pleurait seule dans sa chambre, le cahier de mathématiques ouvert devant elle. Elle venait de rater un exercice simple, et l'échec pesait lourd sur ses épaules. Anna entra doucement, un sourire bienveillant sur les lèvres.

— Emma, pourquoi tu te mets dans cet état ? C'est juste un exercice.

— Tu ne peux pas comprendre, Anna ! Toi, tu réussis tout. Moi, je rate tout ce que je fais.

Anna s'assit à côté d'elle et posa une main réconfortante sur son épaule.

— Ce n'est pas vrai, Emma. Tu es bien meilleure que tu ne le crois. Tu ne vois que tes échecs, mais moi, je vois tout ce que tu fais bien.

Ces mots, bien que réconfortants, n'atteignaient pas Emma. La perfection d'Anna était comme une ombre, étouffant chaque petite victoire qu'elle pourrait revendiquer. Plus elle y pensait, plus elle s'enfonçait dans ses complexes.

Les jours passaient, et la relation entre les deux sœurs semblait de plus en plus tendue. Emma s'enfermait dans ses complexes, tandis qu'Anna continuait de briller. Leur mère, inquiète, observait ces deux filles si différentes sans jamais intervenir. Un jour, Emma eut un éclair de courage.

— Pourquoi es-tu toujours meilleure que moi, Anna ? Comment fais-tu ?

Anna la regarda, pensive, avant de répondre doucement :

— Je ne suis pas meilleure que toi. Tu te mets des barrières, Emma. Tu es trop dure avec toi-même. Tu veux tellement tout réussir que tu oublies d'apprécier ce que tu fais.

Ces paroles restèrent dans l'esprit d'Emma. Elle commença à se demander pourquoi elle voyait tout en noir. Pourquoi la réussite d'Anna lui semblait-elle si écrasante ? Pourquoi se sentait-elle si seule, même lorsqu'elle était entourée ? Peu à peu, elle remarqua des moments où Anna semblait apparaître à des instants très précis—toujours quand Emma doutait ou était sur le point d'abandonner.

Un jour, Emma participa à un concours de dessin organisé par son école. Bien qu'elle n'ait pas confiance en ses capacités, elle passa des heures à travailler sur son œuvre, un paysage paisible où le soleil se levait sur une forêt dense. Elle y mit tout son cœur, ses doutes et ses espoirs. À sa grande surprise, elle remporta le deuxième prix. Lorsqu'elle monta sur scène pour recevoir son diplôme, elle fut envahie par une étrange sensation : de la fierté, mêlée à une lueur de doute.

En regardant son dessin exposé parmi les autres, elle se surprit à penser : « C'est mon travail qui est exposé ici. C'est moi qui ai fait ça. Peut-être que j'ai sous-estimé ce dont je suis capable. » Mais une petite voix en elle, douce et insistante, murmura : « Vois ce que tu peux accomplir lorsque tu crois en toi. » Pour la première fois, elle sentit que ses efforts avaient une vraie valeur, même si ce n'était pas la perfection absolue.

Ce moment marqua le début d'un questionnement plus profond. Emma ne pouvait s'empêcher de repenser à ce que lui avait dit Anna, cette idée qu'elle se mettait elle-même des barrières. Peut-être était-il temps de les abattre.

Un soir, alors qu'Emma regardait un vieux album photo, une révélation brutale la frappa. Sur chaque photo où elle pensait voir Anna, elle se reconnaissait elle-même. Des souvenirs jaillirent, flous mais troublants : Anna qui semblait apparaître seulement dans les moments de doute, Anna qui n'était là que pour la rassurer ou la consoler.

Elle feuilleta frénétiquement l'album, cherchant une trace, une preuve que sa mémoire ne lui jouait pas des tours. Mais tout était clair maintenant. Anna n'avait jamais existé. Elle était le fruit de son imagination, une projection de tout ce qu'elle souhaitait être. Anna était parfaite, parce qu'Emma ne voyait que ses défauts. Cette prise de conscience la bouleversa, mais aussi la libéra.

Emma se leva en sursaut. Elle se regarda dans le miroir et, pour la première fois, osa poser une question :

— Anna ?

Son propre reflet lui sourit. « Tu n'as jamais eu besoin de moi, Emma. Tout ce que je suis, tu l'as toujours été. »

Elle se mit à rire, doucement d'abord, puis à gorge déployée.

— J'ai toujours été Anna... Et Anna a toujours été moi.

Dès lors, Emma décida de changer. Elle se rappela les paroles d'Anna : « Tu te mets des barrières, Emma. Tu es trop dure avec toi-même. » Ces mots résonnaient en elle comme une vérité qu'elle avait longtemps refusé d'accepter. Elle comprit que la perfection n'était qu'une illusion. Elle comprit que ses défauts faisaient partie d'elle, autant que ses qualités. Elle apprit à s'autoriser à essayer, à échouer, à grandir. Et surtout, elle comprit qu'elle pouvait avancer, même en faisant des erreurs.

La morale de cette histoire est simple : parfois, nous créons des ombres dans notre esprit, des voix qui amplifient nos défauts et étouffent nos qualités. Mais ces ombres ne sont qu'une partie de nous-même. En les reconnaissant, nous pouvons apprendre à nous voir tels que nous sommes vraiment—imparfaits, mais complets.

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Jan 16 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

Elle et moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant