Deuil

Reeva (part 2)

          Le liquide douteux proposé coule à l'intérieure de ma gorge laissant à son passage des picotements désagréables. Je n'aurais pas dû accepter le verre de cet inconnu. C'était imprudent de ma part.                                                                   
    Ce gobelet contenait probablement une substance illicite de l'alcool. C'est la première fois que je ressentais les sensations apportées par cette boisson dans mes veines. Mes jambes n'arrivaient plus à se tenir en équilibre. L'esprit un peu embrouillé,je distinguais malgré tout l'amas de corps qui se collaient et serraient au rythme de la musique sur la piste de danse.             
     Comment ai je pu consentir à venir à ce genre de soirée? Ma colocataire m'a forcé à y aller en prétextant que cette fête allait me détendre vu l'approche des examens trimestraux. Elle a écrit toute une thèse si je reprends ce qu'elle a dit sur "les bienfaits d'une party".Et je vous assure qu'elle ne l'a pas fermé pendant toute sa prise de parole. La nuit la plus horrible de toute ma petite vie. Trois heures de torture et de lavage de cerveau pour exposer qu'un seul argument. Ne me demandez pas comment c'est possible. Peut être que c'est à cause de son projecteur................
Si au début ma colocataire me paraissait étrange maintenant je la trouve carrément flippante. Je raconterais cette nuit inoubliable à Lynn et on en rirait ensemble mais elle n'est plus de ce monde. Ma gorge se serre à l'image de moi et ma soeur rigolons ensemble comme des phoques.  Je ravale mes larmes et pose mon gobelet toujours dans la main sur la table d'à coté. Je ferme les yeux.

        _Ça va Andy ?
 
   Je les réouvre, ma colocataire est à ma gauche, son bras encercle le mien. Je sens ses doigts carressaient doucement mon coude. Des souvenirs de ma soeur défilent dans mon esprit. Elle aussi me prenait le bras de cette manière. Ses doigts étaient positionnés au même endroit. Je ne tiens plus. Les larmes que j'ai accumulés durant ces derniers mois,débordèrent de mes yeux.

         _Ça te dit de prendre un peu l'air?

  Je tourne ma tête dans sa direction. Mes yeux humides brouillent ma vision. Je ne vois que son visage flou. Je hoche lentement la tête. Elle me tire à l'extérieur derriere la maison dans le jardin. On s'assoit sur deux balançoires attachées aux branches du chêne qui se trouve au plein milieu de l'arrière de la demeure. C'est calme. Seuls les cris d'étudiants soûles mélangés à la musique rock ressortent dans ce silence.

          _Alors tu te sens mieux maintenant?

  Je sursaute,j'ai oublié qu'elle était à côté de moi. Que dois-je lui répondre? Lui dire la vérité? Lui souffler la mort de mon rayon de soleil? J'aimerais me confier à elle mais....

           _Je devrais pas te forcer. Je le sais. Mais je veux juste que tu me parles. Andy,tu pleurais. Et si tu crois que je ne t'entendais pas crier le soir lorsque tu faisais des cauchemars.  Tu te trompes royalement. Ça fait trois mois que je suis témoin de ça. Je te demande pas de me raconter toute ta vie. Je veux seulement savoir ce qui t'arrive. À toi de choisir. Soit tu m'expliques. Soit tu te renfermes sur toi-même. Et pas une seule fois,j'essayerais de te reparler de ça.

  
  Ma respiration est saccadée, une conséquence de mes sanglots à répétition. J'effaçe les dernières larmes solitaires sur mes joues. Un souffle libérateur sort entre mes deux lèvres. Mes muscles crispés se détendent tout à coup. J'ignore la voix en moi qui me supplie de me taire.

           _Aujourd'hui ça va faire huit mois qu'elle nous a quitté. Ma petite soeur Lynn. Elle me manque. On s'entendait très bien. Il n'y avait pas une seule fois où on ne se criait pas dessus. On pouvait croire dans ces moments là qu'on se détestait mais c'était notre mode de communication. À chaque fois que j'avais un problème,c'était vers elle que je me tournais. Elle était l'épaule sur laquelle je pleurais,ma lumière dans la noirceur de la vie et le pont qui me liait à mes parents inexistants dans mon existence. Lynn était mon univers.

            _Je suis désolée. Je t'ai rappelé des mauvais souvenirs.

Figée par ces mot, le même pressentiment de notre rencontre me traverse le corps. Ce "je suis désolée" n'était pas sincère. Toute l'hypocrisie du monde était logée entre ces treize lettres.

            _Comment est-elle morte? Enfin,tu n'es pas obligée de répondre.

     _ Je...

Je ne sais pas. Je ne m'en souviens pas
À cette réalisation,tous mes sens s'éteignent. Je ne sens plus rien. Ni mes battements de coeur. Ni mon corps. Je suis déconnectée de la réalité. Je remonte dans le passé,le jour de sa mort mais rien ne me vient. Obnubilée à chercher des fragments de souvenirs,je ne remarque pas le sourire qui étire les lèvres de Reeva.

J'aurais dû m'inquieter.