Epilogue

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Alexi s'éveilla avec la sensation d'avoir fait un très beau rêve. Elle n'ouvrit pas les yeux tout de suite. Pour une fois, enveloppée par la chaleur dès le réveil, elle n'aurait pas à se traîner jusqu'à la cheminée, emmitouflée sous plusieurs couches de vêtements pour contenir ses grelottements. Elle profita pendant quelques minutes encore de la douceur de la couverture sur ses épaules, du crépitement du feu, de la légèreté au fond de son cœur.

Puis tout lui revint en mémoire.

Elle avait invité le Bouclier d'Ascarrade à dormir chez elle.

Elle ouvrit les yeux d'un coup, soudain parfaitement réveillée, et scruta les alentours. Elle s'était endormie dans la pièce de vie, sur le fauteuil dans lequel elle avait écouté l'histoire du mage bleu. Le feu ronflant indiquait qu'on avait rajouté du bois dans la cheminée quelques heures auparavant. Mais Adriel de Montfleury, lui, avait disparu.

Elle se leva en retenant la couverture d'une main.

— Vous êtes là ?

Seul le silence lui répondit et l'anxiété sauta à la gorge d'Alexi. La solitude. À nouveau. Cette solitude qu'elle haïssait, qui lui avait parfois donné envie de s'arracher le cœur.

Elle parcourut la maison déserte et chaussa ses vieilles bottes en priant pour que le mage bleu soit parti nourrir les animaux. Mais dans l'entrée, ses affaires avaient disparu, et lorsqu'elle ouvrit la porte elle trouva des traces de pas fraiches, qui dataient d'à peine quelques heures. Elles quittaient la ferme et partaient vers l'Est, loin du village, loin d'elle et de sa vie détestable.

La jeune femme serra les lèvres pour s'empêcher de pleurer. Son père l'aurait frappée s'il l'avait vue dans cet état à cause d'un étranger.

Elle referma la porte et se traina jusqu'à la cuisine dans l'espoir de trouver quelque chose à manger. Pour une fois, les animaux passeraient après elle.

Après tout, pourquoi le Bouclier aurait-il aspiré à rester ici tout l'hiver ? Il se serait ennuyé, comme Alexi s'ennuyait depuis toujours.

Oui, mais ils se seraient ennuyés à deux. Ils auraient travaillé ensemble, discuté tous les soirs au coin du feu en buvant des infusions. La vie aurait retrouvé un peu de couleurs, avec quelqu'un pour la partager.

Alexi dénicha un morceau de pain sec dans lequel elle croqua sans appétit.

Ce n'est qu'à cet instant qu'elle remarqua la lettre, posée sur le comptoir. Elle ouvrit la bouche quelques secondes, oublia de mâcher son pain, et se rua sur la missive comme si elle pouvait disparaître d'un instant à l'autre.

L'écriture du mage bleu, petite et pleine de boucles, complexifia l'exercice déjà difficile de la lecture. Elle décrypta la lettre pendant de longues heures, mais chaque mot et chaque courbe tracée par Adriel la réchauffait de l'intérieur.

Chère Alexi,

Je te remercie de m'avoir invité, mais je ne reste pas. Le soleil est à peine levé et je reprends la route, il m'est impossible de rester au même endroit plusieurs jours d'affilé. Merci de m'avoir permis de passer la nuit au chaud et de m'avoir écouté parler pendant des heures. Je crois que j'avais besoin de raconter tout ça à quelqu'un qui n'a jamais vécu parmi la noblesse, quelqu'un qui comprend. Je n'avais jamais parlé de ça à personne.

Je te demande de garder le secret, même si j'ai choisi de courir le risque que tout ça s'ébruite en te narrant mon récit. La réputation et le bonheur de personnes que j'aime sont en jeu.

Je ne pouvais pas partir sans te confier quelques mots de plus. La vie est précieuse et nous sommes les héros de notre propre histoire. Ton existence n'a pas à se résumer aux murs de cette ferme que tu hais. Le pouvoir de changer les choses et d'être heureux nous appartient. Parfois, cela nécessite simplement un coup de pouce. C'est pourquoi tu trouveras dans le salon une bourse de pièces et une de mes rapières d'entraînement. Vends la ferme, garde un cheval et quitte cet endroit où tu n'as pas ta place. Avec l'argent, achète des vêtements de bonne facture pour prendre la route, passe des tests à la magie — j'ai perçu des choses chez toi, le résultat te surprendra sûrement — et vis ta vie. Il existe des écoles, des facultés de magie, des endroits merveilleux à Ascarrade où tu auras la possibilité de te nourrir de rencontres et de paysages à couper le souffle.

Et qui sait, un jour peut-être que nos routes se croiseront à nouveau.

Je te souhaite le bonheur, ainsi que de mener une vie d'aventures, grandes ou petites. N'attends pas de recevoir une insigne pour devenir une héroïne.

Prends soin de toi,

A.

AdrielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant