J'entends l'objet qui s'écrase sur sa tête, je sens le sang atterrir sur mon visage. Je suis figée, je ne vois même plus la tête de la personne que je suis censée appeler "papa". Mes yeux écarquillés son rivés sur ceux de ma mère allongée au sol et qui me regarde. Encore un coup, cette fois ces yeux s'éteignent. Mais il ne s'arrête pas, et tandis qu'il donne son dernier coup, la porte de l'appartement juste derrière lui s'ouvre et la police entre, le prenant sur le fait. Il se tourne vers moi, il hurle, il croit que c'est moi qui les ai appelés. Je suis figée, je veux bouger, je veux hurler, je veux courir vers ma mère, je veux frapper mon père, mais rien ne se passe, je suis enfermée dans mon propre corps. Mon père se tient devant moi et abat l'arme du crime sur moi sans que je ne puisse rien faire...
Je me réveil en sursaut, la respiration haletante. J'observe la pièce où je suis. C'est ma chambre. Je regarde à côté de moi, Liam dort à point fermé. J'essaye de reprendre une respiration normale. Quand la date fatidique approche, je n'y coupe pas, chaque année je revis ce souvenir avec la même intensité, avec les mêmes peurs, les mêmes espoirs et les mêmes regrets. Comme si un jour j'allais réussir à bouger, comme si un jour j'allais sauver ma mère et stopper mon père. Mais c'est trop tard... Ça fait 13 ans... et tout reste intact.
Je me lève, Liam, semi-conscient me demande si ça va, je lui assure que oui, et il se rendort aussitôt. Je regarde l'heure, 3h du matin. Je n'arriverai pas à me rendormir de la nuit... Je sens mon dos complètement trempé et un frisson me parcours. Je me dirige donc dans la salle de bain et me met sous la douche. Chaque goutte qui coule sur mon corps me donne l'impression d'évacuer la peur, mais mes autres sentiments, eux, restent bien là. Une fois ma douche terminée et moi habillé, j'hésite entre m'installer dans le salon sur mon ordinateur ou dans le QG, ou sortir en ville faire un tour. À cette heure-là, je ne pense pas qu'un autre gang pourrai me tomber dessus. Je décide d'aller d'abord voir s'il y a du mouvement dans le QG. La nuit est fraîche et humide, l'automne est bien là. Je traverse rapidement la partie du quartier qui me sépare du QG et entre au chaud. Dans le SAS j'écoute d'abord voir si j'entends du bruit, mais tout me paraît silencieux. J'entre alors, et la pièce principale se trouve dans l'obscurité presque totale, seul le néon et les lumières de la rue éclairent la salle. J'allume et me dirige derrière le bar, je pose un vers et me sert une tequila. C'est au moment de porter le verre à ma bouche que je vois que ma main tremble. Je reste fixé dessus.
- Nuit compliquée ?
Je sursaute, j'étais tellement ailleurs que je n'ai pas entendu la porte du QG s'ouvrir.
- On peut dire ça et toi, réveil nocturne ou pas encore couché ? répondis-je à mon frangin qu'on appelait Zoul.
- Pas encore couché, je viens de finir une partie de golf, je passais pour prendre un dernier verre avant d'aller dormir.
- Et avant d'aller fumer aussi non ?
- C'est bien possible !
Je vois son regard se poser sur ma main tremblante. Je le vois froncer les sourcils puis me regarder à nouveau le visage.
- Le reste d'un mauvais rêve, dis-je tout de suite avant qu'il ne pose de question, puis je bois le contenu de mon verre.
- Tu veux en parler ?
- Je ne préfère pas, à vrai dire j'aimerai juste l'oublier...
Il me dévisage un instant, s'approche de moi et me tend un join.
- Tu m'accompagne ? Tu as l'air d'en avoir plus besoin que moi ce soir.
- Très bien, mais si on fait une partie ensemble sur la télé du QG avant que t'aille dormir !
- Marché conclus
Cette nuit c'est finalement passé plus vite que prévu et j'ai pu désactiver mon esprit jusqu'à en oublier quelques instants pourquoi j'étais éveillé.