Chapitre 1

6 1 0
                                    

Leur première mission, enfin. Eve l'attendait depuis un bout de temps déjà ! Ne pas avoir de mission, c'était être obligée de rester à la caserne. Et ce n'était certainement pas comme ça qu'elle retrouverait Oscar.

Cet enfoiré... Eve avait d'abord voulu croire que c'était faux : il n'avait pas pu partir, lui qui se plaisait tant dans la vie de noblesse ! Changer de camp comme ça ! Mais elle le savait au fond d'elle. Elle le voyait en rêve. Il était véritablement devenu Tueur d'Ors. L'équivalent Terrien du parfait tueur à gage, ceux qui valent des milliers et qui assassinent, presque pour le plaisir et surtout pour une coquette somme, les personnages les mieux placés, les plus tactiques, les plus dangereux aux mondes, comme on prend des pions sur un échiquier.

Pour ce travail, Oscar avait laissé sa jumelle seule. Il avait tout quitté.

Tim avait bien remarqué que quelque chose n'allait pas chez leur cheffe. Elle paraissait plus silencieuse, conduisant le vaisseau sans rien faire d'autre que mordiller l'intérieur de ses joues ou de ses lèvres, les yeux dans le vague. Elle qui d'habitude mettait toujours à fond ses musiques Terriennes incompréhensible -car Eve était une mordue de chansons françaises-, elle demeurait dans un parfait silence. Mais il n'osait lui parler au milieu de tous. Si elle daignait lui répondre sur ce genre de sujet, ce serait seul à seule, et pas autrement, le jeune Womorien en était parfaitement conscient.

Leur vaisseau se composait d'une grande pièce à vivre avec une banquette ronde qui entourait une table, des étagères sur les murs, et au fond le poste de pilotage. On y entrait par une grande porte à l'arrière, qui s'ouvrait comme un pont-levis. Près des larges ailes triangulaires -pour les Terriens : le vaisseau a la forme d'une raie manta sans queue-, de petites pièces plus basses de plafonds accueillaient côtes à côtes des toilettes et une salle d'eau rudimentaire, ainsi que, en face, une salle de couchage.

Pour la plupart des missions, cette salle ne servait pas, néanmoins les couchettes étaient confortables, bien que relativement rapprochées du plafond.

Eve soupira une énième fois, et Tim se leva de la banquette où il regardait Marek et Noam disputer avec énergie une partie d'échec pour se pencher vers leur leader.

- Tu veux que je prenne le relais ?

La jeune fille soupira encore avant de répondre :

- Non, c'est gentil. C'est juste que c'est hyper ennuyant de respecter cette vitesse quand on sait qu'on peut aller deux fois plus vite que ça avec ce genre de vaisseau ! Sérieusement, aller à Solar ne devrait pas nous prendre autant de temps !

- On peut aller jusqu'à quelle vitesse selon toi ? demanda le Womorien en haussant un de ses fins sourcils noirs.

Eve tourna la tête vers lui avec un sourire qui fit plisser et pétiller ses yeux verts.

- Tu veux que je te montre ?

- On n'a pas le droit ! répondit-il après s'être esclaffé discrètement.

- On n'a pas le droit sauf urgence ! Et si on me réprimande je dirais que tu pensais que c'était le cas.

Nouveau regard tout sourire, accompagné d'un clin d'œil. Le cœur du garçon se contracta tout doucement, si doucement qu'il ne le remarqua même pas. Certes, elle menaçait de le rendre responsable de sa bêtise, mais avec un sourire comme ça, que dire de plus ?

Bien sûr, ce n'était pas ce qu'il pensait, du moins pas consciemment. En fait, Tim ne se rendait tout simplement pas compte de l'effet que lui faisait la jeune fille. Son venin était presque imperceptible, doux, sucré, si bien que s'en rendre compte ne changerait rien : les sentiments qu'elle lui faisait ressentir étaient seulement agréables.

- Allez, pourquoi pas. Montre-moi ce qu'il a dans le ventre. fit-il, amusé.

Avec un petit cri de joie, Eve poussa à fond la manette d'accélération, et la raie fit un bond en avant, manquant de projeter un Tim riant aux éclats contre la porte de sortie blindée.

Ils parvinrent a Solar en moitié moins de temps que ce qu'ils avaient mis depuis leur départ. Pour tous -exceptée Eve, qui feignait également de n'être jamais venue- c'était une première au sein des murs d'or du Palais. L'étiquette devait être respectée à la lettre, et leur mission leur serait donnée sur place. Telles étaient les consignes que leur Reine avait données.

L'Escadron numéro cinq fut reçu par le Roi Sontag de Solaris en personne, escorté de sa fille et de sa femme -ainsi que d'une multitude de gardes et de valets, mais, portant tous des uniformes, ils ne captèrent pas l'attention comme le fit le trio royal.

Sontag, en habit d'apparat, une cape en feuille d'or retenue par une chaine d'or blanc sur sa poitrine, était assis sur son trône. Et quel trône. Loin de se contenter d'un trône d'or serti de rubis, les Solariens, avec leur richesse et leur fierté, avaient voulu un trône de rubis serti de pépites d'or et de diamants.

A sa droite, sa femme était assise dans un fauteuil de velour qui semblait bien plus confortable, drappée dans ses robes de voiles passant du rose au bordeau. Ses yeux argentés pétillèrent lorsqu'elle vit arriver la petite bande, malgré son doux visage apparemment impassible.

A gauche du Roi se tenait sa fille, la princesse Solal de Solaris, debout bien droite. Elle ressemblait à une statue extrêmement réaliste, et seuls ses yeux dorés, n'exprimant aucune expression, bougeaient pour suivre l'Escadron qui s'avança jusqu'à une distance respectueuse d'environ quatre mètres.

Noam, la tête baissée, ne pouvait s'empêcher d'observer attentivement le trio royal. De part sa position de membre d'un des Escadrons de la Reine Ana Is d'Immaginérie, il avait la possibilité de voyager incognito, mais cela ne lui faisait pas oublier qu'il était ici dans un véritable guêpier, en face du pire ennemi de son père qui n'était autre que le Roi Galaad de Dragonia. Même s'il ne l'avait jamais vu et qu'il restait le quatrième fils de son père, connaissant la méfiance quasi paranoïaque des Solariens, Noam prenait le risque de se faire arrêter et décapiter sur place au moindre instant.

Néanmoins, malgré sa crainte, il ne put s'empêcher de détailler la Princesse. De fines paillettes rouges, oranges et jaunes avaient été appliquées sur ses joues et aux coins extérieurs de ses paupières; sa lèvre supérieur et un petit carré de sa lèvre inférieure avaient été peintes en doré, et ses cheveux de la même teinte, brillant légèrement, étaient coiffés de manière complexe à la perfection, formant derrière sa tête des sortes de cornes tressées qui la couronnaient. Les multiples voiles superposés qui l'habillaient rappellaient des pétales de lotus qui se superposaient sur son décolleté, au bas de sa robe et au bout de ses manches.

Son regard doré glissa soudain sur le jeune homme, qui cessa brièvement de respirer en croyant voir les joues de la jeune fille se colorer légèrement.

- Cinquième Escadron de la Reine Ana Is d'Immaginérie. tonna soudain la voix du Roi, interrompant leur échange de regards. Soyez les bienvenus au Palais Royal de Solar. Nous avons une mission pour vous.

Marek mordit sa joue intérieure pour se retenir de répliquer que franchement heureusement, parce que ça les aurait embêtés d'avoir fait tout ce chemin pour rien. La soudaine apparition du visage d'Ana dans son esprit l'empêcha de le faire.

- Quelle est cette mission, vôtre Splendide Majesté ? demanda Eve en baissant la tête. Quelle qu'elle soit, nous la remplirons.

- Dans les Chutes fr Dpmrom, au Sud, se cache un homme qu'il vous faut arrêter vivant. Il doit être ici dans trente jours et vingt-neuf nuits maximum. Telle est votre mission.

Conformément au protocole, Tim s'avança courbé en avant, tête baissée, pour parler. Tout comme le Soleil, il était interdit de regarder directement le Roi durant une audience. Le garçon attendit qu'il lui donne la parole pour demander :

- Il me semble qu'il y a quatre Chutes, vôtre Splendeur, dans laquelle trouverons-nous l'homme que vous recherchez ? Et comment saurons-nous qu'il s'agit bien de lui ?

- J'ignore dans quelle Chute il se trouve. répondit Sontag après une pause. Mais ne vous en faites pas, lorsque vous le trouverez, vous saurez qu'il s'agit de lui. Il porte sur ses avant-bras la marque de Solaris, et ses yeux sont brisés par les rayons de notre Cité.

Adagio se fit encore plus petit et s'appliqua d'autant plus à regarder ses bottines, traversé par un frisson. Mieux valait ne pas être un ennemi du Roi de Solaris.

Les Aventures de l'Escadron n°5 - Les Armes du DestinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant