Prologue

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La température était inhabituellement élevée ce matin, et ce même pour la belle saison. Santos était une petite ville fortifiée de l'ouest du continent, et ses habitants étaient plus accoutumés aux vents froids de la mer qu'aux fortes chaleurs. Le beau temps de ces dernières semaines n'était certes pas exceptionnel, à en croire les anciens, mais il mettait Anderson mal à l'aise.

Le garde déboutonna la veste de son uniforme. Ses compagnons avaient dû en faire de même depuis plusieurs heures. Canasson ! La plupart d'entre eux n'avaient probablement pas dû mettre leur veste aujourd'hui. Anderson, lui, prêtait attention à son apparence. Un garde se devait d'être exemplaire auprès du peuple.

Non pas que le peuple lui-même s'en souciait particulièrement. Mais cela ne le décourageait pas. Si personne d'autre n'accordait d'importance à l'honneur de sa fonction, au moins lui le faisait-il.

Sa vieille livrée était faite de laine, teintée du bleu des rebelles. Des anciens rebelles, pour être exact, qui dirigeaient maintenant le royaume. Si tant était, bien entendu, le continent était toujours considéré comme un royaume. Anderson n'en était pas certain. Toujours était-il que son uniforme de laine était fort peu adapté aux températures de cette saison. Par chance, de nouvelles tenues faites d'un tissu plus léger étaient parvenus d'Anápolis, la capitale.

Mais Augusto, le capitaine de la garde, ne lui avait pas encore distribué le sien. Anderson aurait aimé penser qu'il s'agissait là d'un oubli, mais il était convaincu qu'il ne s'agissait là que d'une nouvelle mesquinerie de son supérieur. Augusto ne l'aimait pas. Aucun de ses camarades ne l'appréciait.

Le jeune homme s'était fait une idée différente de la garde.

Santos était une ville minuscule, négligeable à l'échelle du royaume. Entourée de champs en friche et de bois misérables, elle ne présentait pas d'aspect stratégique et ne disposait d'aucune ressource prisée par les habitants du continent. Ni le roi, ni le régent de la région ne venaient jamais les visiter. Ils les ignoraient, comme l'empereur l'avait fait avant eux.

Anderson avait toujours ressenti un profond attachement pour sa ville. Elle lui ressemblait, ou l'inverse.  Alors, enfant, il s'était pris à rêver de rejoindre la garde de la cité. Ces hommes représentaient à ses yeux la seule source de fierté de Santos. Ils lui semblaient majestueux, vêtus de leurs uniformes impeccables, épée à la ceinture et visages graves. Ils étaient la prestance, l'élégance, l'honneur de la cité.

Les choses lui semblaient aujourd'hui bien différentes. Ou peut-être portait-il un regard différent sur elles. Les vrais gardes, ses compagnons, étaient des soulards fainéants qui auraient fait d'excellents vagabonds.

En cela, ils appliquaient avec dévotion les enseignements de leur capitaine. Augusto était un ventre-à-bière notoire, qui passait plus de temps à écumer les tavernes qu'à patrouiller dans les rues. Le vieux bonhomme n'était pas originaire de Santos. Il y avait été affecté deux ans auparavant avec quelques-uns de ses hommes, et semblait en garder une certaine amertume. Sans doute s'agissait-il d'une sanction.

Il s'était depuis employé à remplacer l'ancienne garde de la ville par des étrangers, plus à son image. Anderson avait été sa première recrue locale.

Le capitaine avait essayé de le forger à ses méthodes, ce qui signifiait principalement trainer la patte durant la journée, boire et chercher de la compagnie féminine la nuit. Augusto s'était probablement mis en tête d'éduquer un enfant du cru à sa manière, mais il s'était trompé de candidat pour cela.

Anderson avait un idéal, et il comptait bien faire ce qu'il fallait pour s'en approcher.

Lorsque le gradé eut compris qu'il n'avait pas trouvé en lui un compagnon de beuverie, il s'employa à le pousser à partir. Il lui ordonna de faire des patrouilles insensées à travers les bois, le réquisitionna systématiquement pour les gardes de nuit et les tâches les moins gratifiantes. A une occasion, il l'envoya même aider le vieux Bartholomeus à nettoyer sa grange. Anderson avait rétorqué que certains éléments de cette mission l'identifiaient plus comme celle d'un paysan, notamment le fait qu'elle se déroule dans une grange, mais Augusto n'avait pas été sensible à son raisonnement.

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