Le train filait à travers la tempête de flocons, dans le noir absolu. La joue collée contre la vitre, Alix avait vaguement conscience que son visage devait avoir l'air un peu bizarre, mais de toute façon le wagon était vide, enfin à l'exception d'un passager tout à l'avant dont elle ne voyait que le haut du bonnet.
Elle souffla un nuage de buée sur la fenêtre. Une enveloppe s'y reflétait, posée sur la tablette fixée au siège. Alix en déplia un coin.
« ... comme on n'a plus de nouvelles de toi, je tente par courrier... »
Elle referma le papier. Sa mère avait toujours eu le don d'écrire des messages qui donnait envie de répondre...
C'était le dernier contact qu'elle avait eu avec eux.
L'écran de son portable indiquait 17:37. Dans une quarantaine de minutes, ils entreraient en gare de leur ville. La boule dans son ventre s'alourdit et elle ouvrit YouTube pour se changer les idées. Le père Noël de la première miniature la projeta devant la porte de ses parents. Elle s'imaginait parfaitement sur le palier, à fixer la sonnette pendant que sa tête se couvrait lentement de neige.
Après des secondes à regarder l'icône de chargement tourner dans le vide, elle redéposa son portable. Une autre distraction. N'importe laquelle. Se lever et marcher dans la rame ? Mais le stress le privait de force.
Depuis le début, revenir était une erreur.
Ses parents, son frère, ou pire, la famille de Lio allaient ouvrir la porte, et ensuite ? Que diraient-ils à quelqu'un qui n'a pas donné le moindre signe de vie en trois ans ? Elle se pencha à la recherche d'une lumière au loin mais le blizzard engloutissait tout.
Même si sa famille la laissait passer la porte, ensuite viendraient les questions. Par exemple : « Tu fais quoi dans la vie, maintenant ? »
- Oh, j'ai lâché les études, mais tout va bien, je prends des boulots à droite à gauche, marmonna-t-elle.
Ce n'était pas la question qu'elle redoutait le plus. Sa famille finirait inévitablement par lui parler de Lio et ça... Elle navigua vers ses dossiers photos et s'arrêta au-dessus de celui nommé « NON ». Après une brève lutte intérieure, elle céda et l'ouvrit. Le tout dernier cliché avait été pris devant un bar, Lionel tenait le téléphone, une guirlande multicolore autour du cou, un verre à la main. Il la serrait contre lui alors qu'elle tentait de bouder, cramponnée à son code civil.
Une goutte brouilla le visage de Lio, transformant en tâches floues les souvenirs qu'elle remontait. Ils avaient toujours été ensemble. Même dans son plus vieux souvenir, au bac à sable du parc, Lio était déjà là, à ricaner - parce qu'elle venait de balancer du sable à la figure du garçon qui s'amusait à lui tirer les cheveux. Évidemment, le sable, c'était son idée.
Aslan, le père de Lio, leur avait passé un sacré savon, ce jour-là.
Qu'allait-il penser d'elle quand ils se reverraient ?
Et il serait là. Jamais sa famille n'avait fêté un Noël sans celle de Lio.
Maudissant les films de fin d'année qui l'avaient poussée à renouer le contact, elle bascula sur Google. Tant pis, même si elle devait passer la nuit à l'hôtel, sacrifier ce qui restait dans son compte en banque ou même enchaîner avec huit heures de bus, elle ne retournerait pas chez ses parents.
Le seul trajet retour disponible était un autre train dans 4h, mais le froid de la gare et l'ennui ne lui paraissaient pas si terribles en comparaison. Alix s'apprêtait à valider l'achat quand une force la projeta en avant, lui arrachant son téléphone qui heurta le dossier en face. Le train freinait.
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Le vent se lève
NouvellesDans le train la ramenant chez ses parents qu'elle évite depuis trois ans, Alix se décourage. Au moment où elle s'apprête à acheter les billets retour, le train est arrêté par le blizzard et un visage du passé refait surface. _ Participation au conc...