Le tournant p1

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L'appartement était exigu. Un visiteur impromptu aurait aisément pu décrire ce qui s'y était déroulé ces trois derniers jours tant les vestiges de la vie casanière de ces deux-là envahissaient l'espace. Il faut dire que le simple fait de s'habiller ou de débarrasser la table était pour eux une véritable épreuve. Et pour cause ! Vivre avec son frère jumeau n'était déjà pas chose facile au quotidien. Cela demandait des compromis permanents. Alors quand, de surcroît, vous vous trouvez relié à votre frère par l'abdomen et que vous savez qu'il en sera toujours ainsi, la vie à deux peut rapidement devenir un véritable calvaire. Toutefois, il serait beaucoup trop réducteur de s'en tenir à un tel constat. Cela faisait plus de trente ans qu'ils vivaient ainsi et chacun avait su cultiver sa différence. Une différence qui donnait du piment à leur vie.


 Jacques était plutôt bourru et sûr de lui tandis que Charlie aimait à se donner un genre flegmatique et distingué. Lorsque l'un hurlait devant un match de foot ou visionnait un mauvais film d'action, l'autre tentait tant bien que mal, de se concentrer sur la lecture du dernier prix littéraire. Enfin, non, ce n'était pas tout à fait ça ! Il faut rendre justice à Jacques ! Lui aussi lisait des livres parfois. Il se passionnait même pour certains auteurs de science-fiction. Bref ! Être siamois n'était pas toujours de tout repos, mais Jacques et Charlie n'étaient pas si malheureux que ça en définitive et, ma foi, ils avaient rarement l'occasion de s'ennuyer. Même si les activités auxquelles ils avaient accès restaient limitées, ils avaient appris depuis longtemps à apporter un peu de relief dans une vie pourtant très monotone. Il était presque onze heures ce jour-là et cela faisait plus de trois heures que Jacques avait écrasé sa dernière clope.


— Charlie, ça fait bientôt trois heures que j'ai fumé ma dernière cigarette.


— Je m'en suis rendu compte ! Si ça pouvait se prolonger un peu, je n'en serais pas fâché.


— Comment fais-tu toi pour rester toujours calme ? C'est à croire que toute la nicotine que j'ingurgite ne t'atteint pas.


— Bien sûr qu'elle m'atteint. Comment en serait-il autrement ? C'est juste que contrairement à toi, je sais rester maître de mon corps et de ce qu'il cherche à m'imposer. Tu sais d'ailleurs que je t'encourage vivement à en faire autant. Si tu as bien lu ce qui est écrit sur ton paquet, tu dois savoir que « Les fumeurs meurent prématurément » ou encore « Fumer nuit à votre santé ainsi qu'à celle de votre entourage ». Dans les deux cas, ça me concerne.


— D'accord, j'ai compris ! Trêve de bavardages inutiles, je t'annonce que je vais poser mon livre, lever mes fesses de ce canapé et enfiler un pantalon au plus vite. J'ai déjà bien trop attendu.


— Pfff...


— Ça ne sert à rien de parlementer avec toi. Cesse donc de souffler et bouge-toi !


— Tu vas encore déranger ce pauvre Michel pour tes saletés de clopes ?


— Ouais, c'est exactement ce que je vais faire et tu vas me suivre, que cela te plaise ou non.


Le cycle des dômesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant