Le tournant p2

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— Jacques...Jacques...


Le nuage de poussière encore épais et suffoquant dissimulait les corps. Charlie entendait un sifflement strident et douloureux résonner jusqu'aux tréfonds de sa cervelle, comme s'il cherchait à la transpercer de part en part, jusqu'à l'éclatement. Impossible de bouger, d'ouvrir les yeux pour contempler le désastre tant que cette douleur insupportable ne le lâcherait pas.


Une bonne dizaine de minutes s'écoula avant que ses muscles ne se décrispent totalement. Le silence. Un silence mortuaire, venait de faire effraction. Plus rien. Plus de rires, plus d'éclats de voix, même ces bruits atroces, d'abord celui de l'explosion, puis ce sifflement effroyable, interminable, avaient disparus.


Charlie ouvrit enfin les yeux. La tête de son frère gisait, inerte, recouverte d'un amas poussiéreux. Il chercha en vain à se relever, sans succès. Son regard n'avait pour seul horizon que les yeux entrouverts et révulsés de Jacques. Son visage livide, inexpressif. Il était mort ? Non ! Impossible. Il n'aurait su dire comment ou pourquoi, mais Charlie pouvait encore sentir la vie de son frère couler dans ses propres veines. Il était bien vivant. Mais pour combien de temps encore ?


— Au secours ! Aidez-moi !


Il reconnut immédiatement cette voix. D'un mouvement brusque et impulsif, il tenta de se relever, puis se ravisa. Un faux mouvement et la nuque de son frère aurait risqué de se briser, mettant un terme à leur pitoyable existence.


— Je suis là !


— Charlie ? C'est toi ?


C'était la voix de Clémentine qui sortait de derrière son comptoir, le visage défait, blanchi et balafré de longues trainées de sang, mais la brume de poussière encore flottante l'empêchait de la voir.


— Oui. Viens m'aider, Jacques est inconscient et je ne peux pas bouger. Il respire encore.


— Continue à me parler ! Ne t'arrête pas ! Je vais essayer de me guider au son de ta voix.


— Je veux pas mourir Clémentine ! Pas aujourd'hui ! Pas comme ça. J'ai peur pour Jacques.


— Ne dis pas de bêtise ! Il va vivre. Toi aussi tu vas vivre.


La voix brouillée par les sanglots, la jeune femme s'efforçait de trouver les mots pour le rassurer.


— Et les autres ?


— Les autres...


Clémentine se frayait un chemin au milieu des corps. Charlie écoutait silencieusement les sanglots et les cris d'effroi qu'elle poussait à chaque fois qu'elle entrait en contact avec l'un de ses clients ou de ses amis décédés, mutilés. La tête sur le côté, il ne pouvait la voir s'approcher, il ne pouvait que l'entendre et ce n'est que lorsqu'elle posa sa main sur son épaule, qu'il vit enfin son visage déformé par la peur.


— Ils sont tous morts, Charlie ! Tous !


Le cycle des dômesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant