La voix de l'onde

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Entrée n°273 :

Ça va bientôt faire treize mois que je suis ici. Si tout se passe bien demain soir et après, il n'y en aura pas beaucoup plus. On n'aura plus besoin de moi. J'ai eu pas mal le temps d'y réfléchir, surtout ces derniers jours, et je ne sais pas si je dois être réjoui. Une partie de moi, déjà nostalgique à l'instant, restera ancrée à ce lieu, j'en suis sûr, il ne peut pas en être autrement.
Plus que quarante heures avant l'éclat si je ne me suis pas trompé. J'ignore comment ils le nomment là-bas mais c'est le nom que je lui ai donné moi. Aucun être connu n'y aurait assisté. J'ai du mal à y croire. On dit que ça se produit seulement une fois par décennie et vu ce que j'ai calculé, ça semble bien être la vérité. Du comportement tellurique à la position des étoiles, il a l'air d'y avoir beaucoup de facteurs qui rentrent en jeu et la lune a apparemment une grande influence aussi. Elle est pleine demain. Mais j'ai déjà détaillé tout ça dans mes autres notes. De ce que je sais, personne n'a jamais réellement théorisé tout ça donc ma base de recherche à depuis le début été mon intuition. Au diable la science, comprenez donc ce que j'observe ! C'est ce que j'aimerais pouvoir dire si je ne m'était pas engagé dans mon devoir. Je suis persuadé cependant que les anciens dont j'ai trouvé les traces dans la forêt avaient compris bien plus que je ne comprendrai jamais. Sur cet endroit, sur la vie, sur le monde...

J'ai appris l'existence de tous ces phénomènes, de l'onde, il y a quelques mois seulement et j'ai seulement déterré toujours plus de questions. C'est rassurant d'un côté. Si jamais je commençais à comprendre tout ça, la magie et la beauté de l'onde, de la forêt, du monde, s'estomperait. Et pourtant je continue à étudier l'incompréhensible.

J'ai peur un peu.

Je commence à sentir un peu de stress et d'excitation mais je ne peux pas me permettre de trembler lorsque l'éclat arrivera, je dois faire toutes mes observations sans faute. D'un autre côté je me sens quand même serein. C'est difficile à décrire. Je ne sais pas vraiment à quoi ça va ressembler.


***


L'antenne faisait encore des siennes. Constamment irritée par les bourrasques de vent, il fallait sans cesse surveiller que l'installation de fortune ne s'en trouve pas déréglée. Aujourd'hui c'était déréglé. Perché à l'échafaudage de fortune et accroché d'un seul bras, Galy tentait de réajuster le tout, un outil entre les dents et le vent en pleine face. De temps en temps, il portait l'écouteur de la radio à son oreille, tendant le fil au maximum et tordant son cou, pour vérifier si ça changeait quelque chose. Mais rien. Rien de clair en tout cas. Galy dut se résigner à accepter que ce n'était pas l'antenne et descendit de son perchoir. A l'approche de l'éclat, les phénomènes de l'onde devaient probablement interférer plus que jamais. Si c'était l'antenne, il ne pouvait rien faire de plus.


Son habitat se résumait ici à une modeste tente, discrète et isolée mais bien suffisante pour lui. Il écarta le tissu constituant l'entrée et débrancha l'écouteur de la radio. Peut être que ça allait remarcher avant l'éclat. En attendant il n'avait pas grand chose à faire et désirait se poser, au calme de la vue de la nature. Il inséra un batterie dans son réchaud en remarquant qu'il était à court d'énergie et commença à se préparer une boisson chaude. C'était une préparation à base de graines trouvée dans les environs qu'il avait l'habitude de se faire quelque fois. Ça avait un goût sucré et réconfortant.

Après ça, il sortit avec sa gourde lui réchauffant les mains et s'installa un peu plus loin, s'enlaçant les genoux et regardant le paysage en buvant à petite gorgée son breuvage agréable.
S'est t-on déjà demandé si une âme pouvait être divisée, désunie ? Si, tel cet endroit, elle pouvait subsister malgré le mur se dressant au milieu de son ensemble ? Depuis ce mur, Galy se posait la question chaque jour. Son âme n'avait que peu d'importance mais celle du monde, elle, restait inatteignable pour la perception des êtres comme lui.
En face de lui s'étendait une forêt infinie, pure et écartée de la mainmise de son peuple. Mille couleurs parsemaient cette toile sylvestre agitée par la sérénité du vent incessant et la sincérité des volatiles variés. De l'autre côté, dans son dos, des plaines sèches et dénudées reposaient dans un silence morose jusqu'aux montagnes inhospitalières tranchant un horizon peu rempli.
C'est au milieu que Galy se trouvait, depuis trois cent quatre-vingt-quatre jours désormais maintenant que le soleil s'était levé, sur ce mur d'une taille absurde parcourant et séparant sans mesure ce monde de sa présence déraisonnable. Galy avait déjà essayé de le mesurer, sans grande certitude, en jetant des pierres à son pied. Il avait seulement pu attraper ses jumelles et affirmer qu'il se passait un peu moins de dix secondes avant la fin de la chute. Il n'avait jamais tenté de faire de même pour sa longueur car rien qu'en portant le regard à l'est et à l'ouest, les extrémités ne se dessinaient que par la courbure de l'horizon.

La Voix de l'OndeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant