1 - Kassandra

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La notification tira Kassandra de son sommeil. Le cerveau embrumé, elle tâtonna la table de chevet à la recherche de son téléphone. Heureusement qu'Ichika s'était levée une demi-heure plus tôt pour aller courir. Sa compagne l'aurait maudite pour avoir laissé son portable sonner.

La lumière de l'écran arracha une grimace à la jeune femme. C'était une alerte automatique qui l'avait sortie du sommeil. Un message en provenance des systèmes informatiques des Corneilles. De nouvelles informations avaient été ajoutées au profil de Kyra : confirmation de ses capacités de Tri-Pourvu, détails concernant ses possibles taille et poids. Les données creusèrent le visage ensommeillé de Kassandra. Kyra avait tout l'air d'être un enfant.

Mais comment un enfant pouvait-il avoir vingt-et-un meurtres à son compteur ?


Le salon de la chambre d'hôtel était baigné des rayons du soleil madrilène. Elles étaient arrivées trop tard la veille au soir pour se rendre chez les parents de Kassandra, qui habitaient à une centaine de kilomètres de la capitale. Il était prévu qu'elles prennent la route en fin de matinée.

En attendant qu'Ichika revienne pour le petit-déjeuner – généralement pris vers neuf heures, compromis décidé par les deux jeunes femmes aux mœurs bien éloignées – Kassandra fila sous la douche. Elle s'amusa à lire les descriptions en espagnol, catalan, basque, anglais, français, italien, hollandais, arabe et chinois inscrites sur la bouteille de shampoing. Aucun de ces idiomes ne lui était inconnu. Elle parlait en plus le japonais, le coréen, le russe, le polonais, et des dialectes indiens. La liste de ses prochaines langues à apprendre favorisaient celles de l'Afrique. Kassandra n'avait encore jamais eu l'occasion de voyager en Afrique subsaharienne et d'en apprendre les langages.

Elle trônait encore en peignoir, étalée en étoile sur le large lit double, quand la porte s'ouvrit. La jeune femme posa son portable à côté d'elle en souriant. Ichika devait tout juste revenir de son footing ; elle respirait encore bruyamment. Sa silhouette mince et revêche ne tarda pas à apparaître sur le seuil de la chambre. Ses courts cheveux noirs dégageaient son visage anguleux aux yeux perçants.

— Kass, la salua Ichika avec son sourire en coin aussi tendre que narquois.

Chica, lui retourna l'intéressée avec un clin d'œil.

La Japonaise rejoignit l'Espagnole sur le lit et se pencha au-dessus d'elle. Yeux noirs dans iris noisette. Les deux bouches se frôlèrent sans se trouver vraiment.

— Une douche et on remet ça, lui promit Ichika en se redressant.

Une boule de chaleur dans la poitrine, Kass entoura une mèche de cheveux autour de son index. Elle ne quitta pas sa petite-amie des yeux tandis que celle-ci se débarrassait du gros de ses vêtements sales à même le sol. En sous-vêtements de sport, Ichika se glissa dans la salle de bains et tourna le verrou.

En l'attendant, Kassandra récupéra son portable et rouvrit le message reçu une demi-heure plus tôt. Ce genre d'alerte était réservé aux membres des Corneilles, mais Kass les recevait grâce à un contact parmi les Corbeaux. Un ancien petit-copain, à vrai dire. Ils s'étaient quittés en bons termes quand la jeune femme était partie vivre en Asie pour quelques mois. Il avait plus tard accepté de lui faire une fleur quand Kassandra lui avait expliqué ses besoins en termes d'informations. Depuis, les événements qui secouaient le monde Mutabilis n'avaient aucun secret pour elle.

Pour son travail, Kass se devait de connaître les cas prometteurs comme les dangereux. Kyra était né en appartenant à la première catégorie. Et, sous la houlette de l'UOM, il avait grandi dans la deuxième. Et la jeune femme était bien incapable de deviner quelle destinée allait connaître cet enfant.


Ichika sentait le gel douche à l'amande mis à disposition par l'hôtel. En peignoir elle aussi, elle vint se lover contre le corps chaud de Kassandra. Cette dernière glissa les mains dans les mèches souples de sa partenaire – amicale, romantique, professionnelle.

— C'est allé, ton footing ?

— Oui. Les rues sont encore calmes.

Un petit rire souleva la poitrine de Kassandra.

— En demande pas trop aux Espagnols quand c'est trop tôt, tu veux ?

Secouant la tête d'amusement, Ichika se tourna pour observer sa petite-amie.

— Pas trop stressée ?

— Moi ? s'étonna Kass en se redressant sur un coude. C'est pas moi qui vais rencontrer mes beaux-parents pour la première fois.

Le ton léger de la jeune femme ne suffit pas à détendre les traits sévères d'Ichika.

— On est pas mariées.

— Je sais, souffla Kassandra en s'asseyant en tailleur. Mais tu sais que pour mes parents... ça change pas grand-chose. Tant qu'on est heureuses.

— Mmph, fit Ichika en croisant les bras, le regard lointain.

Sa copine se pencha pour déposer un baiser dans son cou. Ichika accepta l'attention puis se leva. Le moment de tendresse était terminé, Kass le savait. Sa copine fournissait déjà des efforts conséquents en se laissant cajoler et embrasser. Elle ne pouvait pas lui en demander plus, surtout sur un laps de temps aussi court.

— On devrait s'habiller pour aller petit-déjeuner, finit par suggérer Ichika en dénouant les cordons de son peignoir.

Tandis que le coton rembourré glissait de ses épaules finement musclées, Kass ne put s'empêcher de les fixer. Sur les bras, les flancs, la taille, les hanches, des dizaines et dizaines de petites cicatrices pâles constellaient la peau tannée de la jeune femme.

Quand elle parvint enfin à détourner les yeux, Kassandra ressentait un mélange de colère aveugle, de regrets amers et d'amour orgueilleux. Malgré une vingtaine d'années passées à se faire écraser de toute part, Ichika avait survécu dans son coin. La jeune Japonaise n'était qu'une flammèche à court d'oxygène quand elles s'étaient rencontrées.

À présent, elle était un brasier. Parfois incontrôlable, un tantinet dangereuse, mais, surtout, brillante, brûlante, puissante. Kassandra avait parfois peur de s'y brûler les ailes. Malgré tout, son cœur chantait pour Ichika Juko. Et ce n'était pas aujourd'hui que ça allait changer.

KYRAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant