Après quelques secondes de silence, à peine a-t-il ouvert une bouche tressautant que je sais ce qui va en sortir.
-On ne peut plus rien pour vous. Je suis désolé.
Il ne me regarde même pas dans les yeux. Je veux hurler, il y a tant de choses qui s'animent en moi. Et pourtant je me laisse seulement la liberté de sangloter silencieusement, la mâchoire crispée.
Je n'ai pas le temps de me montrer fort. C'est trop tard pour ça, après tout. Trop tard pour tout.
Je veux lui demander combien de temps il me reste. J'aimerai terriblement savoir si en ces quelques années, peut-être quelques mois, peut-être quelques semaines, j'aurai le temps de vivre.
Ou bien n'ai-je plus de temps? N'ai-je pas même le temps d'aller rendre visite à ma soeur ? N'ai-je plus le temps que pour mourir? Ai-je le temps de mourir?-Arrête de pleurer. m'ordonne soudainement mon père, le regard dur.
Je me force à résister. Je garde la douleur et la peur en moi. Ce n'est pas la première fois, et je doute que ce soit la dernière.
Je sens mon abdomen se contracter, tentant de garder en son sein tout mon chagrin et ma fureur qui se font trop intenses.
Lorsque l'on sort du cabinet, j'oscille et m'effondre sur le sol qui empeste de l'effluve étrangement particulière et unique aux lieux de soin.
L'odeur de quoi? Je ne sais pas trop. L'odeur de la maladie et du désinfectant. Je la connais bien. Cette odeur. Dans ma chambre d'hôpital, dans le cabinet, et maintenant, je pense que même moi j'en empeste.
Elle me colle comme une sangsue et fait comprendre à tous ceux qui croisent mon chemin que je ne suis pas normal, que quelque chose cloche chez moi. Non. En moi.
Ce n'est pas comme un voile superficiel qui recouvrerait mon être.
Ça coule dans mes veines, ça vit en moi, peut-être même au-delà du corps, au-delà de tout. Je suis devenu la maladie, imprégné de cette odeur maudite.
Mon père, avec brutalité, me soulève pour remettre sur pieds ce qu'il reste de ma carcasse.
Nous allons vers la voiture mais il m'arrête soudainement, me pointant d'un index accusateur:-Arrête dont de te comporter comme un faible, Daniel. il s'arrête et me donne un coup dans l'épaule: comporte-toi comme un homme, nom de Dieu ! Et si tu dois mourir, ce sera sa volonté divine, alors respecte-la !
Il hurle à m'en casser les tympans, sur l'autre trottoir, on nous regarde momentanément. Il m'empoigne par la nuque et m'entraine dans la voiture où je m'assois.
Je reste indifférent à ses propos. Je suis trop bouleversé par la nouvelle pour me laisser abattre par de futiles paroles qui ne m'apportent ni réconfort, ni soutien, ni énergie.
Rien de ce dont j'ai besoin.
D'inutiles mots. Je n'ai plus de temps pour vivre, je n'accorderai certainement pas mon temps à ces mots désuets.
Nous roulons calmement. Malgré son tempérament souvent aigri, il conduit toujours avec prudence et exactitude.
Je regarde les bâtiments défiler jusqu'à ce que l'on atteigne notre village.-Fais-moi descendre là, s'il te plait. je lui demande sans l'observer.
Il s'arrête sans broncher et je descend de la voiture, que je contemple alors qu'elle s'éloigne lentement de moi.
Je commence à marcher sur les pavés inégaux et qui m'ont déjà tordu la cheville.
J'aime vivre dangereusement, comme on dit.
Devant moi, les façades de pierre blanche se font face, illuminées par un grand et chaleureux soleil. Malgré les jardinières pleines de fleurs fraîches aux balcons et sur les rebords des fenêtres, il n'y a pas une once de vie. Tout est calme, silencieux, et presque serein. Personne n'ouvre sa fenêtre, et il n'y a aucun humain dans les rues. Depuis quelques secondes maintenant, j'entends un bruit léger derrière moi. Bien que je m'arrête, il ne cesse pas.
Je me retourne et observe avec un peu de surprise un chat noir et blanc, qui se fige une fois que je le regarde. S'asseyant à quelques mètres de moi, il miaule doucement.
Je n'ai pas d'animal. Papa n'a jamais voulu que j'en ai un. Pour autant, j'aime beaucoup ces derniers. Je n'ose premièrement pas me rendre vers lui. Je tente de l'attirer en faisant de petits sons avec ma bouche, mais il continue sa communication insensée.
Je fais un pas, puis deux. Il ne bouge pas. J'avance encore et il ne fait que me regarder venir vers lui, jusqu'à ce que je sois à quelques dizaines de centimètres. Là, il se lève immédiatement et se frotte contre ma jambe, ronronnant. Sa queue glisse contre mon tibia, et ça me donne l'impression d'une caresse.
Je veux pleurer. J'en ai terriblement envie. Mais je m'abstient finalement et, à mon tour, je couvre le petit félin d'attention, caresses et câlins.
Je ne croyait pas les chats si doux.
Nous sommes là, l'un avec l'autre, assis dans la rue vide. Lui est couché entre mes jambes alors que je le caresse, jouissant de ses ronronnements.
Je regarde le ciel azur changer en un orange des plus vifs.
C'est peut-être mon dernier coucher de soleil. Ça me manquera, pour sûr. Toujours changeants, Toujours différents, mais pourtant toujours si splendides, ces couchers de soleil.
Devant ce si beau spectacle, je laisse mon coeur s'ouvrir et déferler les sanglots.
Je ne veux pas mourir.
Je n'ai jamais voulu mourir.
Dans trois ans, j'aurais vingt ans. Je ne vais pas manquer ça quand même, hein ? Ce ne serait pas juste, qu'eux, autour de moi, ils aient une vie entière et moi, je n'en ai que des fragments déséquilibrés, saturés de malheur et de souffrance.
Je ne demande pas un bonheur éternel. Je ne demande pas d'être joyeux chaque jour.
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La dernière lueur du jour
Short StoryUne mort peut tuer des vies. Et une vie particulière peut tuer la mort. Et lorsqu'ils m'ont tous souri, tour à tour, j'étais fatigué. Fatigué, exténué. Mais j'ai pleuré, et j'ai pensé à elle, avant de fermer les yeux. J'ai pensé aux larmes de papa...