Chapitre 1 : Le Renard 1/2

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— Au voleur ! Au voleur ! glapit la bourgeoise échevelée, en chemise de nuit, à sa fenêtre.

Sans lui accorder un regard, je souris avec ironie sous mon capuchon.

L'adrénaline qui bouillait comme de la lave dans mes veines me galvanisait. Je courus le long du toit pentu de la maison mitoyenne à celle que j'avais dévalisée. Grâce à mes semelles de bottes crantées, conçues pour s'adapter aux terrains périlleux de cet ordre, je ne glissais pas. Dans mon dos, la matrone s'époumonait en vain. Son langage outré adopta des accents si fleuris que je me demandai auprès de qui elle avait appris cet argot. Son amant écuyer ou sa camériste, qui m'avait indiqué l'existence de ses joyaux en échange d'une poignée de piécettes à la taverne ?

— Gardes ! hurla une voix délatrice dans la rue en contrebas. Un criminel s'enfuit là-haut ! Abattez-le ! Lady Gensène a été cambriolée !

J'entendis des jurons militaires, suivis du cliquetis des armures des Paladins en patrouille rameutés par un domestique zélé du manoir que j'avais visité durant le sommeil trop léger de sa propriétaire. Ma foi, voilà qui pimentait mon échappée ! Un criminel à abattre, rien que cela ? Je n'avais pourtant pas perpétré de meurtre, que je sache ! Ces bijoux valaient-ils le prix du sang ?

Question rhétorique. Je connaissais la punition dispensée aux voleurs au cœur du royaume souterrain qu'était le mien. S'il y avait un domaine où le roi pouvait se montrer radical, c'était la justice. Néanmoins, cette réalité des plus intransigeantes ne m'empêchait nullement de continuer à chaparder lorsque le besoin s'en ressentait. C'était devenu une seconde nature chez moi. On ne me surnommait pas le Renard par hasard.

Je dévalai la pente pierreuse en m'octroyant un élan nécessaire avant de bondir sur le toit voisin avec une agilité due à l'entraînement. J'atterris en effectuant une roulade sur une terrasse. En me rétablissant vivement, je fauchai un drap parfumé étendu sur des fils. Le grand rectangle de coton s'envola dans mon sillage tel un drapeau immaculé ou un oiseau libéré de sa cage – comme je l'enviais. Un carreau siffla un mètre derrière moi. Sans cesser de cavaler, je lançai un coup d'œil moqueur vers l'arbalétrier en bas, puis lui envoyai un baiser d'un geste de la main avec mon insolence usuelle. Il me foudroya d'un regard haineux en me destinant le signe de mort : l'index et le majeur crochetés en direction de sa gorge. J'arquai un sourcil derrière mon demi-masque et faillis éclater de rire. Je profitai de leur surprise pour accélérer l'allure, accroître la distance entre nous. Je caressais l'idée de me fondre parmi les ombres des maisons à colombages du vieux centre.

— Le Renard ! me reconnut une femme sur son balcon, de l'autre côté de la rue, en pointant un doigt décharné dans ma direction. Venez voir, il est ici !

Ses cris de crécelle attirèrent plusieurs citoyens aux alentours. Ils jaillirent de leurs logis ou ouvrirent leurs volets pour admirer la représentation théâtrale nocturne que je donnais à mon insu. Décidément, personne ne dormait dans ce quartier ! Pour la discrétion, c'était raté.

Eh oui, à ma manière, j'étais une célébrité dans le royaume.

Motivés de plus belle à me neutraliser, les soldats sprintèrent dans la rue comme s'ils se coltinaient un lycanthrope affamé aux trousses. Leurs plans venaient de changer : il s'avérait que j'étais, à leurs yeux, un trophée bien plus précieux en vie qu'à l'état cadavérique. Une prime avait été placée sur ma tête par le monarque en personne. Ma dépouille leur rapporterait un millier d'écus, mais ma chair chaude avait été estimée au triple... pour être refroidie ultérieurement par le bourreau de Sa Majesté devant l'élite aristocrate des Sous-Sols Unis.

Divine Darkness, Tome 1 : Une offrande de chair et de sang (sous contrat)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant