Prologue : Dix ans de changements

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- Mon Roi ! Les rumeurs continuent d'affluer à la cour, annonça le chambellan en essayant de contrôler ses tremblements.

C'était un homme grand et nerveux, et son corps semblait trop frêle pour pouvoir supporter sa tête. En d'autres termes, il ressemblait à un bilboquet dans un uniforme bleu. Et Agreda avait déjà usé trois bilboquets depuis son couronnement, qui avait eu lieu un mois auparavant. S'efforçant de ne pas courber le dos face au regard glacé d'Agreda, il mordit sa langue car il sentait des larmes de peur lui monter aux yeux.

- Parle-moi des rumeurs, demanda d'un ton doucereux l'homme assis sur le trône somptueux.

Sans âge, il avait des cheveux noirs qui encadraient un visage mal dessiné. Il aurait pu être un homme du peuple car rien dans sa posture ni dans ses traits ne transpirait la royauté. Seuls son front serti de diamant et ses yeux gris au regard froid permettaient de comprendre pourquoi il était à présent assis dans ce fauteuil.

- Sire, une Tempête balaie la Grand'île depuis maintenant six mois et sans aucune interruption. Vos sujets commencent à voir dans ce phénomène quelque chose de surnaturel.

Agreda se contenta de fixer le chambellan, attendant qu'il continue.

- Les nourrissons nés pendant le passage de la Tempête, peu nombreux fort heureusement, présentent des aptitudes inattendues.

- Inattendues ? marmonna Agreda, ses yeux se plissant légèrement tandis que le chambellan luttait contre une soudaine envie de vomir.

- Certains savent déjà parler mon Roi, quand d'autres ne peuvent encore tenir leur tête par eux-mêmes.

- Amène-les moi.

- Bien, Sire.

Il recula de quelques pas en s'inclinant, sa grosse tête le déséquilibrant, puis il se retourna et détalla aussi dignement qu'il le pouvait. Le bruit de ses pas précipités résonnait encore quand Agreda tourna lentement la tête vers son scribe.

- Erving, reprends ta lecture.

Le vieillard, qui se tenait dissimulé dans l'ombre du trône, reprit alors avec une voix grandiloquente quoique chevrotante :

- Le plus grand Roi que la Grand'île eut jamais connu venait de prendre le pouvoir et, partout, les habitants pleuraient leur joie et chantaient leur bonheur. Le pays n'avait jamais connu pareil liesse et les villes ne dormirent plus pendant une semaine entière. Des sculptures à l'effigie du Roi Agreda apparaissaient sur toutes les places des villages et des cités pour Lui permettre de veiller sur son peuple bien-aimé. Ce bel homme au visage déterminé et empreint de bonté, au torse musclé et à l'intelligence bien développée était acclamé comme un héros car il nous sauvait de la décadence et nous ramenait sur le chemin de la providence.

Satisfait, Agreda hocha lentement la tête en signe d'approbation tout en contemplant ses nombreuses bagues en or.

- Assure-toi que ma légende soit chantée dans toutes les auberges, toutes les écoles, toutes les églises et à toutes les messes de la Grand'île.

- Oui, mon Roi.

Le vieil homme partit d'un pas lent et claudiquant, tenant un long parchemin duquel il n'avait lu que les dernières lignes. Il avançait l'esprit léger, certain que de tous les Rois qu'il avait servis, Agreda serait le plus bref. Il avait confiance en son peuple, qui n'avait pas fêté le couronnement de cet usurpateur et qui ne laisserait pas leurs enfants quitter leurs foyers. C'est la conscience tranquille qu'il tendit un parchemin à présent roulé aux scribes novices pour qu'ils en fassent des milliers de copies.

Les Enfants du Vent - Tome 1 : Le calme avant la TempêteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant