Les Enfants du Vent - Tome 1 : Le calme avant la Tempête

Chapitre 1 : L'Assemblée de la Reine

Vingt-cinq ans plus tard, sur l'île d'Ortygie.

Elle balaya l'Assemblée du regard. Les huit membres qui la composaient étaient pour moitié debout, vociférant et brandissant le poing, quand l'autre moitié restait assise, la tête haute et figée dans une attitude digne. Celui qui hurlait le plus fort était bien sûr Théodule. Ses longs cheveux bruns frisés flottaient autour de son visage aux traits épais tandis qu'il interprétait sa meilleure performance de l'homme outré. Il s'était hissé sur la pointe des pieds et était déjà à moitié agenouillé sur la table quand Samira, sa voisine, leva les yeux au ciel et le tira par la ceinture pour le ramener sur sa chaise. Ses yeux émeraudes sur sa peau ambrée hypnotisèrent un instant Gaby, qui se dépêcha de concentrer son attention sur Cécilien. C'était le doyen de l'Assemblée mais il hurlait, appuyé lourdement sur la table. Ce titre désignait plus Cécilien comme le vieillard de l'île d'Ortygie que comme une marque de respect pour sa sagesse, qui n'avait jamais éclos sous son épaisse tignasse blanche. Enfin, le clan des opposants était aujourd'hui représenté par Etéocle, un adolescent de l'île, et iel semblait déconcerté de se trouver mêlé à tant d'agitation mais ne se faisait pourtant pas prier pour hurler à pleins poumons.

La Reine, qui était surtout la Stratège en cheffe de la ville, présidait la séance et se trouvait aux côtés de Gaby. Son titre royal était purement honorifique et ne lui conférait pour seul privilège que le droit d'assister à chaque Assemblée. Gaby songeait que ce surnom était plus symbolique et affectueux que synonyme de distinction et de domination, et elle éprouvait pour la femme qui se tenait près d'elle une réelle admiration. Elle scruta son profil, essayant de déchiffrer son visage ébène mais comme à son habitude la Reine restait de marbre face aux tempêtes. Gaby sourit intérieurement, et son regard croisa ceux des deux membres restants de son camp : Inès, cheffe des télépathes et son frère Bénédict, chef de la garde, lui adressèrent un signe de tête imperceptible pour l'encourager à continuer son exposé. Inès était une jeune femme de l'âge de Gaby, elle avait une épaisse chevelure blonde et ses yeux dorés entouraient un iris d'un noir brillant. Bénédict était lui aussi blond mais avait des yeux marrons. Les deux frères et sœurs avaient un visage engageant et sympathique qui pouvaient parfois prendre un air lunaire trompeur.

— Comme je le disais avant que vous ne m'interrompiez, je me positionne en faveur d'une intervention des maîtres pour venir en aide aux habitants de la Grand'île.

Elle força la voix pour continuer malgré le vacarme qui reprenait en intensité et poursuivit :

— Nous avons les moyens de les aider. Si, Théodule, nous les avons. Ça ne se fera pas sans concessions mais, comme nous l'avons déjà prouvé par le passé en survivant à la famine d'il y a deux ans, nous sommes capables de travailler ensemble. Nous ne pouvons pas abandonner nos familles restées sur la Grand'île.

— Mais écoutez-là, celle-là ! Nous venons à peine de nous relever des privations que nous avons dû subir l'année dernière, et elle veut déjà partir je-ne-sais-où pour aider de parfaits inconnus ? vociféra Théodule, qui s'était rassis mais demeurait tendu comme un diable voulant sauter hors de sa boîte. Je refuse. Je refuse, je refuse de mettre en danger ma famille pour des idiots qui n'ont pas eu assez de jugeote pour empêcher cette situation de s'installer.

Il avait commencé à se redresser en prononçant ces mots, mais dans un effort qui le laissa tremblant de frustration, il interrompit son geste et s'écroula dans sa chaise. Il croisa les bras, dans une attitude qui rappelait à Gaby celle d'un enfant de cinq ans, et planta son menton dans sa poitrine, ses cheveux formant un rideau épais autour de son visage tendu.