2023

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Arthur mordille son cookie du bout des dents, plus par gourmandise que par réel besoin. Il finit de taper cette fichue analyse linéaire qu'il doit terminer pour demain. Son regard ne cesse de passer de son texte à son téléphone. Il attend un message de Paul. Ces temps-ci, alors même que les examens approche à grands pas, il passe énormément de temps avec Paul. Bien plus que de raison. Mais comment faire autrement ? Il se sent tellement incomplet, tellement vide quand il se retrouve sans lui...

Il reporte son attention sur son analyse linéaire. Il a presque fini, et il est plutôt content de lui. Il ne lui reste qu'une ligne. Mais qu'a bien pu vouloir dire Arthur Rimbaud par "Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade " ?. Soudain, une notification apparaît sur l'écran de son téléphone. C'est Paul ! Il réprime une grimace en constatant l'orthographe désastreuse du message. Paul a préféré choisir les mathématiques à la littérature et n'est plus habitué à écrire des mots complets ; il utilise autant d'abrévations que possible. Arthur se concentre sur le contenu du message :

Cc, tfk ? Rdv chz moi ?

Il a du mal à réprimer un sourire. Il ferme immédiatement tous les onglets qu'il a ouvert, enregistre  son document et referme son ordinateur portables d'un geste sec. Il répond brièvement à Paul, s'élance hors de sa chambre, et, alors qu'il s'apprête à dévaler les escaliers, quelque chose le retient. Il fixe un instant son reflet qui le regarde droit dans les yeux, se sourit à lui-même et passe une main dans ses cheveux, ébouriffant ses mèches bien ordonnées. Lorsqu'il passe devant le canapé du salon, sa soeur Isabelle relève la tête de son écran.

- Tu vas où ? demande-t-elle, les sourcils froncés.

- Chez Paul, répond Arthur.

- T'avais pas des révisions à faire pour le BAC ?

Arthur se gratte l'arrière du cou. Isabelle sait toujours lorsqu'il fait ou ne fait pas ce qu'il est censé accomplir.

- Si, mais on va réviser à deux...

-Tu parles, ricane Isabelle. Prend une bouteille d'eau, au moins, tu sais qu'on est en période de canicule.

Sans répondre, Arthur se dirige vers la cuisine et attrape une bouteille d'eau. Il n'apprécie que très moyennement que sa grande soeur lui dicte quoi faire alors qu'il a déjà dix-sept ans.

Mais il doit lui accorder qu'elle a raison sur un point : il fait très chaud. Plus encore ici, au dernier étage de leur immeuble. La chambre mansardée d'Arthur, juste sous le toit, est encore plus étouffante que les autres pièces.

Il essuie un peu de sueur qui coule de son front, sort de l'appartement, et entre dans l'ascenseur. Contrairement au reste de l'immeuble, il y a la climatisation à l'intérieur.

Lorsqu'il sort de l'immeuble, il entend une piève de monnaie tinter et s'échapper de sa poche, mais il ne se retourne pas. Superstition de lycéen féru de littérature, il ne se retourne jamais lorsqu'il quitte un endroit, de peur de finir comme Orphée qui n'a jamais pu revoir Eurydice.

Arthur, dans la rue, songe qu'il pourra sans doute convaincre Paul d'aller s'acheter une boisson fraîche ou une glace...il arrive en vue de l'immeuble de son ami. Paul l'attend déjà devant la porte. Il a une drôle de torsion des lèvres en l'apercevant, un peu comme un sourire étonné. Les deux garçons se saluent, et il ne faut pas plus de deux minutes à Arthur pour convaincre son ami d'aller s'acheter une glace.

Leurs pas les portent naturellement vers le parc, sous l'ombrage des tilleuls verts. C'est naturellement aussi qu'Arthur prend la main de Paul. C'est naturellement aussi qu'ils finissent par s'embrasser, comme deux moitiés d'un même être qui se retrouveraient.

- T'as un goût de rhum/raisin, observe Arthur, mortellement sérieux.

- Il n'y a pas un mot, pour ça ? demande Paul.

- Un mot pour quoi ? Rhum/raisin ?

- Non. Quelque chose qui est...comment dire...entier. Et je ne parle pas d'un tout, je veux dire quelque chose qui est...je ne sais pas, dans toute son intensité et en même temps qui veut dire entier.

Arthur sourit.

-Je vois. Plénitude.

Paul répète le mot, puis l'embrasse à nouveau.

- T'as un goût de café/chocolat.


On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant