𝐏𝐑𝐎𝐋𝐎𝐆𝐔𝐄.

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- Tu vois pas que j'y arrive pas ?

Sa voix, au milieu de la froideur nocturne, se brisa en un nuage de vapeur, les yeux scintillants de larmes piquantes et colériques, réveillant avec elles le désagrément du crayon noir qu'elle avait appliqué maladroitement au dessus de ses cils, dans le simple but “de se faire belle”. Les bretelles de sa robe fleurie s'enfoncaient dans la peau de ses longues épaules, et la posture peu fière, elle tenta d'ajuster sa longueur, de desserrer ce tissu qui l'étouffait. Son visage était souligné avec faiblesse par la lumière de la demeure de sa mère, se tenant face à elle comme si une barrière du langage les séparait. La femme d'une cinquantaine d'année regardait sa fille, qui en aucun cas n'en avait les atraits.
June était un garçon manqué.
Ses jambes fines mais robustes et façonnées par les sports qu'elle pratiquait, tremblaient sous la bassesse de la température.
Il s'agissait d'un soir d'Octobre, après un repas familial qui n'était qu'une pile de tensions et d'hypocrisie ; de compliments empoisonnés et de remarques sifflées comme de véritables malédictions contemporaines.
La brune les avait supportées. Elle passa des heures déguisée dans une robe qu'elle trouvait grotesque, qu'elle eut même peiné à trouver dans un vieux sac de son grenier, et à certains endroits de son visage l'on devinait que des produits maquillage avaient été brutalement étalés. Elle n'avait en réalité fait aucun effort pour comprendre leur fonctionnement tant elle se trouvait lassée. Lassée de cette mascarade. Elle déglutissait avec difficulté devant le silence meurtri de sa génitrice, avant que tout ce qui se bousculait dans sa poitrine ne se traduise dans un rire nerveux ;

- Ah ! S'exclamait-elle.
C'est tout ce que t'as à me répondre ? Évidemment, à quoi je m'attendais ?
June avait passé ses mains contre son faciès avec désarroi, puis les avait claqué contre ses cuisses.

- Tu délires complètement, là ? June, si tu savais comme j'ai honte. Regarde-toi..
Laurence, grimaçante, avait donné naissance une véritable déception. Sa fille n'était qu'une bonne à rien. Elle ne désirait pas faire de brillantes études, ne savait se vêtir ni parler avec délicatesse, ne portait aucun intérêt pour les mêmes choses que les enfants de ses amies. Elle était honnête, et cela beaucoup trop. En d'autres termes, non, rien ne pouvait être positif chez sa personne. Mais le mouton noir ravalait ses larmes tant bien que mal et rétorqua.

- Tu veux tout savoir ?
Elle s'approcha, ses yeux des armes, avec l'irrésistible pulsion de lui cracher toute la vérité  au visage.
- J'en ai plus rien à foutre de ce que tu penses de moi. Et en fait, c'est dingue parceque je préférerais crever plutôt que te ressembler ! À toi, ou à tes amis en plastique d'ailleurs..

Son rictus fruit d'un énorme courroux faisait surface de nouveau. La plus âgée allait lui couper la parole, complètement outrée, et cette dispute se résumait bientôt à des voix qui cherchaient seulement à se surpasser l'une et l'autre. June n'abandonnait toujours pas son discours, qui reprenait lieu lorsque sa mère s'était laissée vaincre.

- ...Non, et puis, je me barre.
Après avoir hurlé tout ce qu'elle avait sur le cœur, la chute de ses émotions ne fut que plus violente encore. Un déclic avait détendu ses muscles, et avait rendu son regard lassif. Laurence était quant à elle encore sous le choc.
La brune leva légèrement son pied droit de sorte à l'extirper de cet instrument de torture qu'était l'escarpin, puis son pied gauche.

- June, rentre, maintenant.
La vieille carcasse fraîchement vêtue des boutiques les plus chics de Paris tenta d'affirmer son autorité.

- N-O-N.
Articulait sa fille en exagérant le mouvement de ses lèvres. Elle en profita même pour lui jeter ces chaussures démoniaques dessus, puis commença à se tourner vers la pénombre, qui au fond n'était peut-être que sa liberté, ou le début d'autres peines. Mais elle ajouta un détail qui faisait toute la différence. Un élément exceptionnel, la cerise sur le gâteau, le comble, le crime ;

- Ah ! Et j'allais oublier. Je suis lesbienne. Bonne soirée surtout.
Ne s'étant pas retournée, elle avait seulement perçu le claquement de porte en furie qui s'était suivi. June souffla. Elle l'avait fait. Elle avait tout dit.

...

Et elle était accessoirement seule dans une robe qui menaçait d'exploser, les pieds à même le béton à vingt-trois heures dans la rue.

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⏰ Dernière mise à jour : Feb 15, 2023 ⏰

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𝐅𝐋𝐀𝐌𝐌𝐄𝐒 𝐂𝐎𝐍𝐓𝐑𝐀𝐈𝐑𝐄𝐒. Où les histoires vivent. Découvrez maintenant