Le petit Poucet, qui avait remarqué que les filles de l'ogre avaient des couronnes d'or sur la tête, et qui craignait qu'il ne prit à l'ogre quelque remords de ne les avoir pas égorgés dès le soir même, se leva vers le milieu de la nuit, et prenant les bonnets de ses frères et le sien, il alla tout doucement les mettre sur la tête des sept filles de l'ogre, après leur avoir ôté leurs couronnes d'or qu'il mit sur la tête de ses frères et sur la sienne, afin que l'ogre les prit pour ses filles, et ses filles pour les garçons qu'il voulait égorger. La chose réussit comme il l'avait pensé; car l'ogre, s'étant éveillé vers minuit, eut regret d'avoir différé au lendemain ce qu'il pouvait exécuter la veille; il se jeta donc brusquement hors du lit, et prenant son grand couteau:
- Allons voir, dit-il, comment se portent nos petits drôles; n'en faisons pas à deux fois.
Il monta donc à tâtons à la chambre de ses filles et s'approcha du lit où étaient les petits garçons, qui dormaient tous excepté le petit Poucet, qui eut bien peur lorsqu'il sentit la main de l'ogre qui lui tâtait la tête, comme il avait tâté celles de tous ses frères. L'ogre, qui sentit les couronnes d'or:
- Vraiment, dit-il, j'allais faire là un bel ouvrage; je vois bien que j'ai trop bu hier soir.
Il alla ensuite au lit de ses filles où, ayant senti les petits bonnets des garçons:
- Ah! les voilà, dit-il, nos gaillards! travaillons hardiment.
En disant ces mots, il coupa sans hésiter la gorge à ses sept filles. Fort content de ce coup, il alla se recoucher auprès de sa femme.
Aussitôt que le petit Poucet entendit ronfler l'ogre, il réveilla ses frères, et leur dit de s'habiller promptement et de le suivre. Ils descendirent doucement dans le jardin, et sautèrent par-dessus les murailles. Ils coururent presque toute la nuit, toujours en tremblant et sans savoir où ils allaient.
L'ogre s'étant éveillé dit à sa femme:
- Va-t'en là-haut habiller ces petits drôles d'hier au soir.
L'ogresse fut fort étonnée de la bonté de son mari, ne se doutant point de la manière qu'il entendait qu'elle les habillât, et croyant qu'il lui ordonnait de les aller vêtir, elle monta en haut où elle fut bien surprise lorsqu'elle aperçut ses sept filles égorgées et nageant dans leur sang. Elle commença par s'évanouir (car c'est le premier expédient que trouvent presque toutes les femmes en pareilles rencontres). L'ogre, craignant que sa femme ne fût trop longtemps à faire la besogne dont il l'avait chargée, monta en haut pour l'aider. Il ne fut pas moins étonné que sa femme lorsqu'il vit cet affreux spectacle.
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Le petit Poucet
ClassicsVoici le conte original du Petit Poucet, de Charles Perrault, paru dans Les Contes de ma mère l'Oye, en 1697. Il était une fois un bûcheron et une bûcheronne qui avaient sept enfants, tous des garçons. Ils étaient très pauvres, et leurs sept enfants...