Deux adolescents. Voilà ce que les deux créatures enfermées étaient vraiment. Toutes ces responsabilités qui reposaient sur leurs frêles épaules s'étaient momentanément effacées au fur et à mesure que leurs tenues d'apparat avaient glissées au sol, emportées par des domestiques aux sourires indiscrets, aux regards voyeurs.
Maintenant, ils n'étaient plus que Louis et Marie, deux destins enchaînés sans qu'une once d'attirance ne retint l'un près de l'autre.
Un gros garçon aussi maladroit qu'embarrassé qui ne faisait pas ses 16 ans et une frêle créature blonde dans sa tenue de nuit, telle une nymphe au corps à peine développé et aux timides formes marquées par l'engonçage du corset.
Louis XV les avaient conduits comme deux idiots à leur lit de noces et après les avoir béni et embrasssés, il les avait quitté, enfermés dans ce lit à baldaquin, dans le noir. Assise contre la cloison, Antonia jeta un regard un brin condescendant à ce balourd qui ne savait pas où se mettre et plus mal à l'aise qu'en émoi en regardant la distance qui les séparait se mesurant en centimètre d'étoffe.
C'était pour ce garçon pour qui elle avait dû renoncer à sa mère, à la compagnie de Mops, son chien adoré? Ce garçon qui ne lui adressait pas la parole sans bégayer. Cet homme pour lequel elle avait dû apprendre parfaitement le français.
Certes elle avait vu des portraits de lui avant sa venue en France. Des portraits qui n'annonçaient ni le charisme ni l'enthousiasme que le compagnon d'une Antonia se devait d'avoir . Mais il avait le trône, avait pensé Marie-Thérèse, l'impératrice connue pour avoir réparti ses 16 enfants à la tête des royaumes d'Europe comme des pions sur un échiquier.
Si seulement j'avais été sa préférée, pensa Antonia en jetant un regard jaugeur à Louis, j'aurais pu épouser un duc de ma convenance tout comme Amelia. Ou rester auprès de Mère. Mais qui aurait-elle épousé ? Elle n'en avait aucune idée, mais le benêt n'était sûrement pas le prince charmant dont elle avait rêvé.
La folle chimère qu'est l'imagination l'avait fait désiré ce prince, pourtant . Elle avait patiemment enduré tout ce que le voyage lui avait apporté de désagréments, en pensant bientôt trouver une âme soeur réconfortante, dans le personnage imaginaire que son esprit avait façonné à mesure que le souvenir du tableau s'estompait.
Et ce n'était qu'à la rencontre du Prince que tout s'était remis en place et que dans un choc aussi violent que désagréable le prince charmant s'était brusquement effacé pour laisser place à cet adolescent.
Était-ce à lui qu'elle devrait donner des nombreux garçons ?
Elle avait bien compris que c'était sa principale mission à la cour de France. À lui, qu'elle devrait cette progéniture que la monarchie attendait d'elle ? Cet homme si peu... entreprenant. Elle avait une idée assez floue de ce qui devait se produire entre eux.
Les conseils à demi-mot emprunts de non-dits que Marie Thérèse lui avait donnés ne l'avaient pas avancée à grand chose. Il n'était pas considéré convenable comme une jeune fille qui était censée donner la vie de savoir comment s'y prendre avant la nuit de noces.
Marie Antoinette s'était souvent demandé si ce jour-là, tout s'expliquait comme une évidence.
Pourtant elle ne s'était pas appuyée ni reposée sur cette croyance et avait fait ses propres recherches, surtout par le biais des romans-feuilletons de la grande bibliothèque impériale qu'elle prenait soin de cacher pour que sa mère ne découvre pas ses lectures sulfureuses.
Elle avait une idée pourtant assez confuse à ce moment-là de ce qu'il lui fallait faire.
C'était censé s'être magique non ? Quelque chose de magnifique. Mais pourquoi n'en avait-elle aucune envie. Elle était plutôt dominé par le dégoût que par le désir.
Tout le monde s'attendait à ce que cela se fasse cette nuit même, Madame de Noailles n'avait laissé aucun doute planer en la matière.
"Ne perdez pas de temps", avait-elle soufflé. "Un accident est bien vite arrivé, que deviendrez-vous si cela venait à se produire et que vous n'aviez pas d'héritiers de Son Altesse le Dauphin ? C'est à votre endroit que je donne ce conseil".
Que deviendrait-elle ? Mais elle partirait en Autriche tiens ! Libérée d'un mari et avec un peu de chance sans enfants qui l'alourdirait de surcroît ! Mais quel serait son destin alors ? Finir dans un couvent, comme sa sœur défigurée par la petite vérole ?
Elle vit dans la clarté qu'apporte un éclair au milieu des ténèbres, le visage déçu que sa mère afficherait, les airs durs... Elle prendre le voile ? Jamais.
Et si elle restait ici, que ferait elle ? Vieillirait-elle, pie jacassante faisant la course à la jeunesse en trafiquant son âge, mendiant des privilèges comme toutes les vieilles biques qui l'entourait, détestée pour ne pas avoir conçu d'enfant assez tôt.
Décidément ni l'un ni l'autre de ces destins ne l'enchantait, mais rien pourtant ne lui dicta de faire le premier geste vers Louis. Elle repose sa tête blonde sur l'oreiller avant de tourner le visage vers lui. Les yeux grands ouverts fixant la cloison de leur lit en baldaquin, le teint livide, il avait l'air en pleine crise d'angoisse.
Prise de pitié, la dauphine se redressa et se dit que s'ils ne pouvaient pas se comporter comme mari et femme, elle pourrait toujours commencé par se faire un ami de ce garçon visiblement plus effrayé qu'elle.