Nuit d'été
Soleil d'hiver
Avec toi toute cette rareté
Qui te fait briller à la lumière.
Je joue nerveusement avec mon stylo face à ma feuille. Feuille blanche. Feuille quasi-blanche à vrai dire. Juste ces quatre vers sont inscrits. Les mots repassent en boucle dans ma tête. Sans cesse. Je revois la scène des milliers de fois. Je porte le stylo à ma bouche. Le capuchon de celui-ci paie les frais de ma nervosité. "Nuit d'été", "Soleil d'hiver", ce sont des moments de rareté qu'on aime, qu'on apprécie lors de ces saisons. Ils sont uniques et simples, ils nous donnent le sourire. Pourtant la nuit d'été n'est pas rare d'un point de vue scientifique. Il fait nuit chaque jour à chaque saison. Mais la nuit d'été évoque les bienfaits d'une brise de fraîcheur après une lourde journée de chaleur, la nuit d'été évoque un ciel remplie de milliards de petites lumières toutes plus microscopiques les unes que les autres qui rend le monde romantique et pensif (je pense beaucoup à Van Gogh, nous le pensons tous je le sais), la nuit d'été évoque cet apaisement d'avoir attendu si longtemps pour pouvoir entendre le monde s'arrêter, la nuit d'été évoque pour moi quelque chose de romantique. Et la romance est rare. Elle l'est au quotidien. "Avec toi toute cette rareté", est-ce de trop ? Peut-être que c'est lourd ? Oh oui tous les discours fait sur la rareté d'une certaine beauté chez l'humain autant psychologique que physique revient assez souvent dans les poèmes et les textes mais n'est-elle pas un classique qui plait ? L'humain n'aime-t-il pas être comparé à une chose rare ? Quelle qu'elle soit ? La rareté nous réduit à un état de notre être unique. Lorsque nous nous sentons unique nous nous sentons nous et qu'il y a-t-il de meilleur que de se sentir soi-même ? Et d'être apprécié par une personne en étant soi-même ? "Qui te fait briller à la lumière.", la lumière renvoie au soleil d'hiver et aux étoiles de la nuit d'été mais est-ce important ? Les gens comprendront sûrement une simple lumière, ils n'iront pas chercher plus loin car la lumière représente la mise en valeur, la liberté, la beauté. La lumière éclaire, elle dévoile, elle reconnaît. Le verbe briller ici n'accentue seulement mon idée. Il s'agit d'être simple. Il s'agit de se faire comprendre mais parfois ma vision me semble trop personnelle. Je suis peut-être le seul à penser ainsi ?
Le son régulier des aiguilles de l'horloge me ramène à moi. Je lève la tête pour jeter un coup d'œil aux candidats autour de moi. Une boule se forme instinctivement au creux de mon ventre. Ils sont tous penchés, une jambe tremblante sur leur feuille blanche ou quasi-blanche. Feuille blanche ou quasi-blanche sont deux termes appris à l'école. C'est très simple : feuille blanche est blanche, feuille quasi-blanche comporte un mot ou plusieurs mots. Un mot. Pas un dessin, une tâche ou un autre mot comportant une faute. Juste un mot parfaitement noté. Pour avoir une feuille quasi-blanche valable, il faut respecter la grammaire et l'orthographe sur les doigts de la main. Sinon ? Sinon on ne sait pas. Ils sont emportés. Les feuilles blanches sont emportées hors de la salle et on ne les revoit plus. Elles n'ont jamais existé. Leurs existences n'ont jamais existé. Alors je repasse mot par mot, lettre par lettre. Je lis et relis. Je me torture l'esprit. J'ai choisi d'écrire simplement pour être sur. Je veux être sur.
Chaque mois, une épreuve est organisée. L'écrit. Aussi simple que cela puisse paraitre, chaque habitant du pays doit se réunir dans la salle d'examen de leur ville muni d'un stylo noir et d'une carte d'identité. Un thème est donné. Il ne faut pas laisser sa feuille blanche. Ils nous donnent une heure. La plupart du temps nous réussissons tous. Aujourd'hui, le thème est "lettre/déclaration d'amour". Cela paraît simple. On serait même tenté d'être un peu trop inspiré et de laisser aller nos émotions. C'est, de loin, la pire erreur à effectuer. Laisser aller ses émotions c'est aller directement droit à la feuille blanche.
Je ne connais pas les organisateurs. Personne ne les connaît à vrai dire. Ils sont comme nous mais au-dessus. Ils ne fréquentent pas les mêmes lieux que nous, ne parlent pas comme nous. Ils nous méprisent. Je me suis surpris à penser ça une fois. Je ne l'avais jamais avoué en public. Fort heureusement. Un personne s'y était hasardée. Je ne l'ai plus jamais revue et je ne l'avais jamais vue. Est-ce normal ? Je ne sais pas. Je ne veux pas y réfléchir.
La sonnerie retentit dans la salle. Un bruit commun s'élève dans celle-ci. Chaque main lâche son stylo noir. Chaque personne se lève. Une porte s'ouvre et des milliers de personnes passent celle-ci pour entrer dans la salle et se poster devant chaque bureau. 3008 personnes exactement puisque nous sommes 3008 à résider dans cette commune. Ils empoignent nos copies, les lisent, les analysent. Un cri s'élève au fond de la salle. Je ne me détourne pas. "Numéro 560 !", le numéro 560 est emmené. Il n'a jamais existé. Nous sommes et nous avons été 3007 à résider dans cette ville. Mes mains deviennent moites. J'attends. Je patiente. Certains sont enfin renvoyés à leur domicile. Mes ongles s'enfoncent dans le dos de ma main. Mes cheveux me gênent. J'ai soudainement chaud. La correctrice lève les yeux de ma copie, me regarde de la tête au pied et crie "Numéro 789 : Vert !". Un cri quasi inaudible s'échappe de ma bouche entrouverte. L'air me manque. Je manque de m'effondrer. Vert. Je ne sais pas ce qu'il arrive au personne titrée du mot "vert". La couleur verte. Symbole de chance et de validation. Symbole de positivité. Mais si c'était l'inverse ?
La femme garde ma copie et m'indique de la suivre. Je ne traîne pas. J'obéis et j'avance. On arrive à la porte. La porte. De l'autre côté, c'est le monde des organisateurs. Je dois y passer. Je dois la traverser. La femme passe, j'attends. Je reste. Je demeure ici, devant elle, incapable. Incapable est le mot parfait. Incapable d'affronter une épreuve de peur de ce qu'il adviendra.
On finit par m'y traîner de force. Je longe un couloir blanc, simple, neutre. Les talons de la femme retentissent dans l'espace. On entre dans une salle blanche, simple, neutre tout aussi conforme à la description du couloir. Un homme m'y attend. Il sourit. Incapable de le faire en retour je reste juste debout face à lui.
"Je vous souhaite la bienvenue monsieur, vous avez réussi le test. Vous êtes apte à travailler dans notre société. Vous êtes apte à en faire parti. Quelle identité choisissez-vous ?"
Je reste stupéfait et incapable. Stupéfait. Surpris. Incapable. Impossible. Je suis le numéro 789. Je suis une feuille quasi-blanche. Je ne suis pas "monsieur". Je n'ai pas d'identité. A vrai dire je ne connais pas le sens autre qu'identité par un nombre. L'identité. C'est un grand mot résumé par un nombre.
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Feuille Blanche
Mystère / Thriller"Numéro 789 : Vert !". Un cri quasi inaudible s'échappe de ma bouche entrouverte. L'air me manque. Je manque de m'effondrer. Vert. Je ne sais pas ce qu'il arrive au personne titrée du mot "vert". La couleur verte. Symbole de chance et de validation...