Kageyama s'étire.
Il lève les bras au-dessus de sa tête et gonfle le torse, puis baille largement, de petites larmes de sommeil naissant au coin de ses paupières. Quand il ouvre les yeux, il est accueilli par le paysage familier d'une vaste caverne aux voûtes creusées par le temps, dont le plafond se perd dans l'obscurité, éclairée de flambeaux qui dotent les murs de pierre d'ombres fantastiques.
Kageyama avance, doublant sans scrupules une longue file d'attente d'où s'élèvent des pleurs et des plaintes, et finit par arriver au bord d'une rivière. Une barque est amarrée là sur un petit embarcadère, et deux agents de sécurité en costume s'occupent d'installer les premiers de la file sur le bateau, prenant soin qu'ils puissent s'asseoir malgré les légers ballotements. A côté d'eux, debout sur la rive, se trouve un jeune homme blond, qui claque la langue d'un air agacé :
-Allez, plus vite. Vous avez peur qu'ils se noient ?
Il ricane, très satisfait de son trait d'esprit. Kageyama soupire.
Miya Atsumu. Le nocher du Styx, chargé de faire passer les âmes défuntes d'un côté à l'autre du fleuve et les faire définitivement entrer dans le pays des morts. Il n'occupe que cette fonction, nécessaire et neutre ; mais Kageyama se plaît à songer que le rencontrer constitue, sans nul doute, le premier châtiment des Enfers.
-Tiens, Tobio-kun ! l'apostrophe justement Miya en l'apercevant. Déjà de retour ?
-J'ai été efficace, répond laconiquement Kageyama.
Il arrive à la hauteur de Miya, qui fait reculer l'âme en attente pour faire passer Tobio en priorité. Celle-ci, l'image d'un vieillard édenté, pousse un faible gémissement frustré.
-Ça va, hein, souffle Miya. T'as toute l'éternité pour attendre, tu vas pas re-mourir pour cinq minutes.
Kageyama grimpe dans la barque avec agilité, prenant soin de ne pas toucher l'eau du Styx, et attend que les dernières âmes s'installent. Enfin, Miya grimpe derrière lui, muni d'une large rame ; et sous peu, l'embarcation quitte la rive.
-Pff... Depuis le temps que je demande un hors-bord. Tout ça parce que le big boss ne m'a pardonné pour cette histoire de chantage à l'obole. Quand même, tu peux le croire, Tobio-kun ? C'était il y a huit siècles ! Il est rancunier, le patron !
-Il n'est pas rancunier, c'est juste qu'il ne t'aime pas, répond Kageyama d'un air indifférent.
Miya ne répond rien, mais lui adresse tout de même un clin d'œil complice lorsque Kageyama débarque.
-A tout à l'heure, peut-être, marmonne rapidement Tobio avant de s'éclipser.
Kageyama emprunte le couloir réservé au personnel, esquivant les traditionnelles étapes que doivent suivre les âmes défuntes : le passage devant Cerbère, et le tribunal des morts, qui décide de l'ultime séjour de l'âme en fonction de l'existence que celle-ci a menée, suivant un système de récompense ou de punition.
Il arrive dans un vaste hall de marbre noir et doré, incrusté de pierres précieuses, le long duquel coulent lentement des cascades d'eau pure ; puis il descend plusieurs volées d'escaliers, s'enfonçant toujours davantage dans les profondeurs des Enfers jusqu'à retrouver ses appartements et ceux de ses pairs. S'ouvre alors devant lui une salle confortable, dotée d'un immense âtre où flambe un feu rougeoyant, des bibliothèques où s'alignent des ouvrages soigneusement agencés, et de meubles aussi luxueux que le palais qu'il a traversé ; un mouvement attire son attention depuis un sofa de cuir noir. Une tête s'est renversée pour le fixer, deux yeux vides et profonds, semblable aux siens, se sont rivés sur lui :
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Chasing love
FanfictionOikage. Dans un monde où les Enfers et les dieux grecs existent, Kageyama, divinité chtonienne de la vengeance, rompt une éternité d'ennui et commet l'erreur de s'attacher à un simple mortel...