chapitre un : dix-huit ans

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Rio de Janeiro, 20.22
Chiara Arteaga

La nuit s'étire lentement autour de moi dans les rues sans vies d'un quartier obscur de Rio, alors que ces mots tournent encore en boucle dans ma tête :

« joyeux dix-huitième anniversaire, Chiara ».

L'âge qu'on considère comme une renaissance avait été pour moi une descente aux enfer.
Alors que les personnes avec qui j'avais grandi venaient d'atteindre un âge où toutes les libertés leurs étaient offertes, je venais de franchir le seuil d'un âge où les épreuves semblaient tisser leur toile avec une intensité démesurée, portant le fardeau de responsabilités bien trop lourdes pour la jeunesse qui coulait encore en moi.

Mon anniversaire approchant, je me laisse divaguer une fois de plus dans la revue pénible des derniers mois passés, une éternité semble avoir laissé son empreinte sur chaque ruelle.

La lumière fragile des lampadaires éclairant la rue en face éclaire mon modeste studio et ses murs délabrés témoignant de la réalité austère de ma vie. Assise sur un matelas usé, gisant au sol, un symbole muet de la précarité qui règne dans ce coin oublié de la ville.

C'est le regard vide et sans espoir que je m'abandonne une dernière fois aux méandres de pensées lugubres qui tourbillonnent dans mon esprit lorsque l'horloge, impitoyable, m'arrache à cette dérive. 
Le monde dans lequel j'ai fondé ma vie demeure indifférent à l'excuse d'un égarement pensif ennuyeux, c'est donc avec une résistance pesante que je me lève, peinant à enfiler mes chaussures.

En franchissant le seuil vers l'extérieur, l'environnement indifférent de Rio m'accueille avec une pluie glaciale.

— Putain, ça craint.

Je serre fort mon sac contre ma poitrine, et c'est rapidement que je traverse les sombres rues, croisant inévitablement des types qui, comme d'habitude, tentent de m'attirer dans des conversations futiles. En routine, je les esquive habilement et emprunte un détour sinueux prolongeant ma route de trois minutes vingt-cinq, chaque coin de rue cachant des secrets indéchiffrables.

Sur le chemin, l'ombre de mon passé se dessine avec une clarté sombre :
Expulsée de chez moi il y a près d'un an, dès ma majorité, je me suis retrouvé jetée dans les entrailles de Rio, une ville impitoyable où les rues étaient des labyrinthes vivants. Les relations tendues avec mes parents me poussaient sans cesse vers l'inconnu, et sans un sou en poche, je me suis trouvé contrainte de plonger dans des affaires clandestines pour assurer ma simple survie.

C'est une routine brutale et nécessaire qui prend chaque jour une nouvelle dimension dans ce quartier lugubre. On me confie la marchandise, et je deviens le maillon essentiel, livrant des objets aux contours incertains dans des ruelles éclairées par des néons vacillants. Chaque transaction est une plongée plus profonde dans un univers trouble, une danse dangereuse au rythme des lumières de la ville qui scintillaient comme des étoiles lointaines.

Mes choix se transformaient en des lignes floues entre la moralité et la nécessité, tandis que je me débattais dans cette existence façonnée par des circonstances que je n'aurais jamais imaginé connaître, au cœur de ce Rio de Janeiro où la beauté et la misère se mêlaient dans une danse sans fin.

C'est épuisée que je pénètre finalement dans l'entrepôt, l'odeur du métal et des cartons emplissant l'air. Mes pas résonnent sur le sol dur, chaque bruit amplifié par leurs murmures.

La tête haute j'aperçois cet acheteur familiarisé, comme à son habitude il m'attend au bout de l'allée sombre, accompagné de quelques vulgaires types.

Mon cœur s'accélère légèrement comme la première fois, m'y ferai-je un jour à ce mélange de tension et de routine bien trop familière?

Je dépose la marchandise entre ses mains avides et récupère un billet, mais malgré mes yeux évitant soigneusement les siens, il ne peut s'empêcher d'ajouter l'une de ses remarque déplacée qui empoisonne toujours un peu plus l'atmosphère, déjà suffocante de cet entrepôt lugubre :

— J'aime te voir à l'heure Chiara, on peut compter sur toi.

— La marchandise, comme convenu. dis-je froidement

J'aurai pu le parier, alors que je m'apprête à faire demi tour, il ne s'arrête évidemment pas là. M'attrapant fermement par le bras, il semble analyser chaque parties qui constituent mon visage.

— J'apprécie ton efficacité, ajoutant un sourire suggestif il reprend, es-tu efficace en d'autres domaines ?

Je retiens un soupir, déterminée à ne pas lui offrir le plaisir d'une réaction. Mes doigts s'agrippent à l'espoir d'une sortie rapide.

— Je dois y aller.

Je tente de m'effacer, de glisser hors de son champ de vision, mais il persiste dans ses commentaires désobligeants. Décidément...

— Ne sois pas si pressée, on peut discuter...

Le silence résonne comme un bruit assourdissant lorsque je trouve finalement une ouverture pour m'échapper de cet échange dégradant.

Sous leur regards et rires infâmes, je m'éloigne, laissant derrière moi l'entrepôt et ses murmures obscurs.

La fatigue trace des lignes lourdes sur mon visage tandis que je rentre chez moi, traversant les rues tortueuses de Rio dans l'obscurité glaciale de la nuit. Le froid mordant s'infiltre à travers mes vêtements, témoignant de la rudesse de cette soirée.

Ma démarche est lourde, mes épaules voûtées sous le poids des responsabilités clandestines que je traîne derrière moi. Les souvenirs de la journée, des transactions obscures et des échanges houleux, s'accrochent à ma silhouette comme des ombres indélébiles.

Un soupir de soulagement mêlé de fatigue s'échappe de mes lèvres gercées par le froid lorsque je passe la porte. Il fait froid à l'intérieur, mais la quiétude précaire de mon chez-moi m'accueille comme une vieille amie.

M'assurant de fermer la porte derrière moi, mon premier réflexe est de filer sous la caresse bienfaisante d'une douche chaude. Je m'immerge dans un instant apaisant, laissant l'eau étreindre chaque parcelle de mon corps, chassant temporairement les soucis qui pèsent sur mes épaules. Le moment éphémère semble effacer le monde autour de moi, me laissant à tête reposée pour la première fois depuis le lever du soleil.

En sortant, encore enveloppée dans la chaleur de la douche, je me libère de l'eau et m'enveloppe dans un confortable sweat à capuche.

En levant la tête, le miroir en face de moi reflète un visage marqué par le temps, des yeux noirs qui portent le témoignage silencieux des épreuves traversées, des traits sculptés par les vicissitudes de ma vie.

Mes doigts glissent à travers mes longs cheveux noirs, leur démêlage délicat résonnant comme la métaphore du labyrinthe que j'ai traversé. Chaque nœud évoque une histoire, chaque mèche raconte un chapitre de mon existence, façonnant une toile vivante tissée de mémoires.

J'observe une dernière fois mon reflet, laissant paraître une âme façonnée par les défis relevés, les leçons apprises.

Lorsque je rejoins la pièce principale de mon studio, je m'approche de mon frigo presque vide, j'y trouve presque une simplicité réconfortante. J'attrape un bol de pâtes que je réchauffe rapidement et m'installe au sol, face à la télé, savourant mon repas devant les infos superficielles du journal.

Dans cette routine quotidienne, il y a une beauté tranquille, une poésie dans la simplicité qui transcende l'ordinaire.

Je m'allonge épuisée sur le matelas au sol, ressentant chaque muscle témoigner des épreuves de la journée. Les bruits de la ville en fond sonore, je fixe le plafond dans l'obscurité, laissant mon esprit errer parmi les pensées fugaces. Les échos de conversations non terminées et les ombres des ruelles s'entremêlent dans ma conscience.

Mes yeux, lourds de la fatigue accumulée, cherchent le réconfort dans la promesse d'un sommeil profond. Je me laisse envelopper par l'obscurité, plongeant dans le sommeil avec l'espoir que demain apportera un répit bien mérité, un instant de paix dans cette existence façonnée par les méandres implacables de la vie nocturne à Rio.

ArteagaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant