1 - Chewing-gum pastèque

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Je pris un chewing-gum avant de lancer un regard indécis à Florent, en face de moi.

- Tu en veux? Pour les tympans, et tout ça...

Il me retourna un regard rougi par la colère et les pleurs.

- Fous moi la paix.

D'accord...

J'enfournai donc mon chewing-gum à la pastèque et mis à mâcher sans quitter des yeux la piste de décollage derrière le hublot.

Ce qu'il me disait ne me faisait rien. Il m'avait toujours traitée comme ça de toute manière. Nous avions beau avoir en commun nos parents et notre date de naissance, il me méprisait.

Tu m'étonne, pas facile de rencontrer du jour au lendemain sa jumelle fraîchement sortie d'hôpital psychiatrique.

Toutes mes excuses, je me présente.

Je m'appelle Alison, j'ai 15 ans et jusqu'à il y encore quelques mois, j'étais considérée comme "psychologiquement instable".

Il y a cinq jours, je suis sortie pour la première fois de l'hôpital.

Pour la dernière fois aussi, étant donné que je n'aurai plus jamais à y retourner, mon état ayant enfin été considéré comme "stable".

Sauf que voilà, en rentrant à la maison que j'allais visiter pour la toute première fois, un ivrogne du nom de Dean Seaman n'avait rien trouvé de plus drôle que d'emboutir notre voiture, me clouant aux urgences pendant deux jours, et tuant mes parents sur le coup.

Le pire dans tout ça, c'était que lui s'en est sorti sans une égratignure.

Voilà où nous en étions, Florent et moi, la mort de nos parents creusant un vide que nous n'arrivions pas à combler, plantés là comme deux idiots, dans cet avion quittant Londres pour les États-Unis.

Une secousse ébranla tout l'appareil, et je me cramponnai brusquement à mes accoudoirs.

À travers le hublot, j'observai l'avion prendre de la vitesse, et soudain, comme dans un ascenseur, les roues ne touchèrent plus le sol.

Waouh! M'exclamais-je à voix basse e' voyant tout Londres s'éloigner sous mes yeux.

Nous passâmes au-dessus des nuages noirs de pluie, et je vis soudain, à travers les trouées, apparaitre la mer.

L'océan, c'est le genre de choses que je n'avais jamais vues, enfermée dans l'hôpital, à apprendre l'anglais, l'histoire... à essayer de rester au niveau.

L'océan... J'aurai dû le voir pour la première fois avec vous, Papa, Maman...

Je passai les 20 premières minutes de vol le nez pressé contre le hublot, avant de poser les yeux sur Florent, en face de moi, qui, regard perdu au dehors, semblait se remémorer de douloureux souvenirs.

- Hé, Flo', on peut parler?

Il ne tourna même pas la tête, et répéta d'une voix éteinte :

- Fous moi la paix...

- J'aimerais juste qu'on parle de tout ça...

- J'ai dit fous moi la paix!

- Comme tu veux, rétorquai-je, acide, ne pense surtout pas à ta soeur, celle qui ne connait absolument personne à part toi. Tu sais quoi? Continue, fais comme si je n'existais pas, ça ne me changera pas beaucoup de ces 14 dernières années!

Je refoulais ma compassion en le voyant hausser les épaules, absent, totalement détruit par la mort de nos parents.

Moi, mes larmes, je n'en ai plus depuis des années...

Je ne pouvais m'empêcher de me comparer à lui:

Des cheveux bruns à la limite du noir, sûrement coiffés avec du gel habituellement, mais en bataille depuis 5 jours, un teint très clair, et des yeux... Époustouflants.

Gris argenté, presques translucides, comme une fenêtre que l'on aurait ouverte sur ses pensées, ils captaient les regards tel des aimants les aiguilles.

Il devait faire craquer toutes les filles, dans son ancien lycée.

Moi au moins, je n'avais pas de problème de popularité, vu que j'étais la seule patiente à prendre des cours...

Je regardai ma montre. Il restait encore 6h de vol, nous étions parti à 9h du matin de Londres, et arriverions à Chicago à la même heure (vive le décalage horaire!).

Ma préoccupation, c'était plutôt le comité d'accueil.

Je suis sûre que Tante Esther me déteste. Quelle idée de d'emménager chez elle, franchement...

Je ne sais même pas à quoi elle ressemble...

Une demi-heure plus tard, bercée par le doux ronronnement des réacteurs, je plongeai dans le sommeil, sous le regard déchiré de mon frère.

CobayeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant