Draconistes

XX. Cauchemar

Asthar

Je me réveille, trempé de sueur. Je ne pensais pas pouvoir transpirer durant une tempête de neige.

Depuis la petite chambre étroite du chalet que l'on m'a attribué, j'entends le vent qui se déchaîne dans un fracas qui rend presque sourd la petite âme perdue dans les hauteurs que je suis.

Seul le feu, crépitant dans son foyer non loin de ma couche, illumine la pièce, et me rappelle que je ne suis pas piégé dans je ne sais quel cauchemar de montagne.

J'ai toujours détesté le froid, je n'allais pas commencer à apprécier ce climat aujourd'hui non plus.

Une bûche craque et quelques braises s'effondre dans l'âtre, vaillant chevalier luttant contre l'air glacé qui tente de s'insinuer par tous les moyens à l'intérieur, sans atteindre ma chair. J'ai dû quitter ma bure pour des vêtements bien plus chauds, que j'ai accepté de bon cœur. Je ne ressemble certes plus à un érudit, mais c'est impossible de me confondre avec Draconiste malgré tout.

Je suis vraiment plus petit et malingre que n'importe lequel d'entre eux.

Mes poings serrent mon édredon comme un désespéré s'accroche aux rebords d'une falaise. Mes phalanges sont blanches, et je vois mes veines se dessiner au dos de mes mains.

Un mouvement se fait au coin de mon œil, reflétant chaleureusement la lumière du feu dans la pièce, étincelant comme un bijou, souple comme un soupir.

"Alors, petit, c'est la tempête qui te travaille ? C'est vrai que c'est ta première fois, je me doute qu'il y a de quoi t'inquiéter. Rassure-toi, nous avons l'habitude, tu t'y feras très vite!"

Boggan se glisse entre mes doigts, les desserrant par le simple fait de les frôler, avant de se nicher autour de mon cou. Son contact contre ma peau est toujours étrange, une sorte de croisement insolite entre la peau d'un serpent et une cote de maille, d'une tiédeur très agréable. Sentir sa chaleur calme les battements de mon cœur. Depuis quand ce petit être est-il capable d'apaiser mon esprit ?

"Voyons, je ne suis pas un mage. Toi, tu en es un en devenir. Tu devrais réellement accepter d'y penser, Asthar."

Je me renfrogne immédiatement, n'apprécie guère qu'il insiste.

"Ce n'est pas cela qui t'ennuie, raconte-moi."

Il y a une certaine frustration à ce que Boggan soit capable de deviner tout ce que je pense, et pas moi. J'envie les autres Draconistes qui sont en symbiose complète avec leurs dragons. Après, je dois m'estimer chanceux: j'ai un dragon qui accepte de rester avec moi malgré le fait que je vienne d'en-bas.

Et je mesure complètement ma chance et l'honneur que c'est d'avoir Boggan à mes côtés.

Aussi, je lui livre toutes mes pensées sans rechigner, avec honnêteté, comme si je me parlais à moi-même.

"Un cauchemar. Je ne sais pas si c'est la tempête qui me l'a provoqué, mais c'était très violent pour moi... et j'ai du mal à comprendre pourquoi j'ai rêvé d'une telle chose.

- Raconte-moi ce rêve. Tout ce que tu as ressenti.

"Il y avait... de la haine, beaucoup de haine. Je me perdais dans les ténèbres qui me bousculaient de toute part. Il y avait un cri déchirant d'une personne qui suffoque, étouffé par des mains qui l'immobilisaient de toute part. Je sentais sa détresse, et la lumière vacillante de son âme. J'entendais des bruits de coups, de lames, et d'os brisés. Et une rage sans fin, qui déchirait les ténèbres, que celles-ci tentaient d'éteindre sans jamais y arriver. J'avais l'impression qu'il n'y avait aucun espoir, et pourtant je faisais tout pour trouver une lumière, et sortir le malheureux et moi de là.

- Les ténèbres avaient-elles des formes ? Comme les Miasques ?

- Je ne crois pas... c'était comme... des insectes. Des nuées de papillons. Des phalènes, peut-être. Je ne saurais pas te dire. J'avais peur d'ouvrir la bouche et de crier.

- Tu t'es réveillé à cet instant-là ?

- En fait, c'est une main qui s'est agrippée à mon épaule qui m'a réveillé. Je ne sais pas ce que c'était, mon coeur allait se décrocher de terreur. C'est ça qui m'a sorti de ce cauchemar."

Boggan glisse le long de mon coup, trottinant avec agilité le long de mon bras avant d'aller glisser son petit corps de bronze et d'émeraude au creux de mes mains. Ses yeux noirs me dévisagent avec sérieux, et le voit tâter l'air avec sa langue avec sérieux.

C'est ce qu'il fait chaque fois qu'il compte me dire quelque chose de déplaisant.

"Je sais que tu ne veux pas entendre parler de magie, Asthar. Non, laisse-moi parler d'abord. Tu ne veux pas apprendre, je l'ai bien compris. Pourtant je te garantis que tout prendrait sens si tu consentais à t'y intéresser. La magie est un don. Rares sont ceux qui peuvent l'utiliser, et encore plus rares sont ceux dont le destin est lié à la magie. Ne pas accepter ce que tu as en toi peut être néfaste.

- C'était un cauchemar, Boggan. La magie n'a rien à voir cela.

- Tu es un Inné, la magie est faite pour toi. Elle t'attend. A ma connaissance, un Inné qui est dans un tel état en sortant de son sommeil n'a pas fait un cauchemar. Il a reçu une vision. Et comprendre cette vision ne peut se faire qu'avec l'apprentissage de la magie. Tu comprends ?"

Les mots de Boggan me gênent. Non que je n'y crois pas, mais parce que je refuse que ce soit vrai. Je répète, à la fois pour le convaincre lui et moi.

"C'était un cauchemar. Restons-en là."

Le petit dragon pose sa patte griffue sur ma main, l'air inquiet.

"Promets-moi d'y penser si ton cauchemar se met à se répéter. Parles-m'en. C'est important, Asthar."

J'ai envie de rouler des yeux, mais je ne veux pas lui manquer de respect. Il est un dragon qui a vu bien des choses avant moi, et il a eu des siècles pour apprendre. Je le sais.

Je ne veux pas entendre parler de la magie.

Mais, parce que mon ami était inquiet, j'accepte.

"Je te le promets."