Une lettre

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Point de vue de Xavier. J'ai utilisé une théorie que j'ai croisé sur internet. Encore une fois, ce n'est qu'une théorie...

Maman,

Toi et moi, on n'a jamais beaucoup parlé. Je ne me souviens plus vraiment de ton visage. Il ne m'en reste qu'un vague souvenir et un dessin malhabile. J'avais quoi ? Cinq ans quand tu es parti ? Tu ne m'as pas laissé grand chose en t'en allant, mais je crois bien que si j'ai commencé à dessiner, c'était d'abord pour te dessiner toi. Papa dit qu'il n'a plus aucune photo de toi, qu'il les a toutes brûlées dans un excès de rage. Ça, je veux bien le croire. Je ne crois pas beaucoup Papa, d'habitude.
Je ne sais pas ce que tu as bien pu lui trouver.

Maman, je ne t'écris jamais. Souvent je voudrais t'oublier. Et quand je veux oublier, je dessine. Ça fais sortir le choses. Mon langage à moi, ce sont les images, pas les mots. Tu dessinais, toi aussi, pas vrai ? J'ai retrouvé un vieux croquis, au fond du grenier, un jour.
Papa avait entrepris de faire vider les combles (Papa ne fait jamais les choses lui même, il fait faire). Je me souviens d'avoir été attiré par une boîte rose pâle, recouverte d'un filme de poussière. M. Hook qui supervisait l'opération a bien voulu me la laisser. Je savais au fond de moi que ça n'aurait pas plu à Papa, et cette idée contribuait à rendre le tout plus excitant encore.
J'ai attendu le soir pour ouvrir mon nouveau trésor. J'étais assis sur la moquette, et c'était presque comme si tu allais sortir de la boîte et venir m'embrasser. Je t'imaginais comme les mamans qui attendaient mes amis à la sortie l'école. Belle et aimante, dans un tailleurs lyla.
Bien sûr, tu n'étais pas dans la boîte.
A la place, il y avait un vieux carnet avec tes initiales griffonnées dans un coin, une palette d'aquarelle toute écaillée (mais aux couleurs encore vives) et trois pinceaux échevelés. Le carnet était vide, sauf la première page. Dessus, il y avait un drôle de dessin, ou plutôt un dessin pas très drôle, pour lequel les couleurs vives ne t'avaient servi à un rien : un monstre difforme et recourbé qui me regardait d'un air fou.
J'ai gardé le dessin, mais il m'a effrayé.

Maman, je ne sais pas ce qui m'arrive. Ces dernier temps, c'est comme si le monstre avait quitté sa feuille de papier pour tout envahir : mes rêves, ma réalité... et moi aussi.

Je me perds. Par où commencer ? Ah je voudrais pouvoir dessiner mais j'en suis incapable. Sur mes toiles, il n'y a plus que le Hyde - puisque c'est comme ça que ce monstre se nomme. J'ai besoin de toi, maman.

D'abord, puisqu'il faut un début, il y a eu les rêves. Redondants. Terrifiants. Singuliers, aussi. Singuliers de réalisme. Dans certains rêves, je vois le monstre (ou je sens sa présence). Je le vois, lui et ses victimes qui hurlent leur souffrance. Et le monstre me voit aussi. Parfois, il s'arrête un temps infini devant moi, et ses yeux ont ce même regard fou que sur le dessin. Il est si proche que je sens son souffle sur mon visage.
Mais dans d'autres rêves - et ce sont sans doute les pires - je suis le monstre. Je suis le monstre jusqu'au bout des sens. La vue, bien sûr. Mais aussi l'ouïe. L'odorat. Le toucher. Le goût. Je me hais pour cela et pourtant je n'ai jamais rien goûté d'aussi délicieux que dans ces rêves horrifiques où j'ai du sang plein la bouche.

Mais je ne contrôle pas ce que la bête fait.
Je reste hermétique à ses pensées, et c'est le seul motif rassurant de cette affaire.
Je suis le monstre, et le monstre m'est un étranger.
Le monstre cependant existe bel et bien, et mes rêves sont des prémonitions à propos desquelles je ne peux rien.
Je sais quand il frappe, mais il a toujours un coup d'avance. C'est comme si lui aussi, savait.

Alors je le dessine.
C'est devenu une obsession. Mon atelier est couvert de son visage hideux, de son regard surtout. Maman, ce regard me hante. Il me terrifie. La raison de ma terreur est plus inavouable encore que le goût du sang sucré sur ma langue.
Maman,  suis-je définitivement bon à interner si je t'avoue que j'ai la sensation qu'il n'est que mon reflet ?

Un jour, dans la cabane aux murs couvert de portraits, je suis devenu le monstre.
Je ne me l'explique pas. J'ai lutté, ça oui, mais la chose en moi a pris le dessus et je me suis senti grandir. J'ai pensé que je rêvais encore. Je me suis griffé. Immédiatement, une sensation étrange de recroquevillemment m'a laissé debout dans ce corps de bipède, hébété, une mare de sang à mes pieds, une douleur intolérable au cou, et une panique sans nom au cœur.
Mais Maman, je te jure, je ne suis pas ce monstre. Moi j'arrive toujours trop tard pour constater des dégâts déjà connus parce que rêvés. Ce n'est pas moi qui tue, quoi qu'en pense Mercredi.

Mercredi. Pas le jour de la semaine mais la fille au regard noir qui m'a sauvé la vie il y a 6 ans. J'ai toujours su que je finirai pas recroiser son chemin.
Mercredi, Maman, c'est un autre motif de fascination. Sans doute le seul que je puisse croquer lorsque le monstre me laisse un peu de paix. J'ai la sensation que ce n'est pas un hasard. Il me semble presque qu'il y a un accord tacite entre le monstre et moi, un accord dans lequel il est stipulé que seul le visage concentré de Mercredi à son violoncelle est autorisé à trôner à ses côtés.

Maman, toi et moi on n'a jamais beaucoup parlé. Je ne sais rien de toi et j'ai peur de ce que je crois deviner. Mais si je suis un Hyde, Maman - comme toi sans doute, et comme celui ou celle qui hante mon sommeil, je préfère mourir.
Si ce n'était Mercredi, autours duquel tout semble étrangement tourner, je crois que je serai déjà parti.

Je vais brûler cette lettre, Maman.
Là où tu es, tu n'en as pas besoin.
Dirais-je que je t'aime et que tu me manques ?
...
Je t'aime Maman, quoi que tu sois.
11 ans que tu me manque,

Xavier

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⏰ Dernière mise à jour : May 25, 2023 ⏰

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