Les Pérégrinations [Anticipation]

Chapitre 1

J'enfournai mon vélo pour dévaler la pente de la falaise à toute vitesse, les cheveux au vent. Je n'étais pas vraiment attentive à mon environnement, mais peu importait. À cette heure-ci, les routes étaient désertes, et de toutes les façons, je connaissais le chemin par cœur.

A peine arrivée, Selena, la responsable de la sécurité alimentaire de notre communauté, m'accueillit à la petite cabane où je rangeais mes outils, déjà prête à me mettre au travail.

– Sarah, tu tombes à pic ! m'apostra-t-elle sans attendre. On annonce une tempête en fin de journée, on doit mettre en place le protocole de sécurité alimentaire.

Je masquai ma surprise sous une expression neutre et répondis d'une voix assurée :

– Je passe d'abord voir les semis, et je te rejoins dans les serres.

Je me sentis légèrement coupable. J'avais pourtant regardé la météo par la fenêtre avant de partir et le ciel bleu m'avait donné l'impression d'une belle journée à venir sans que je prenne la peine de consulter mon casque de divertissement pour confirmer. La période de l'année était pourtant propice aux tempêtes et j'aurais dû moi-même anticiper cette possibilité car depuis les accords de Zagreb, chaque communauté se devait d'assurer sa sécurité alimentaire. Or, c'était mon rôle de protéger nos plants encore jeune et j'avais failli manquer à ma tâche.

Je me dépêchai de calfeutrer les serres à l'aide d'un système archaïque bien qu'efficace afin d'arriver en cours à l'heure. Je ne m'entendais pas très bien avec le professeur du cours du matin qui n'était pas connu pour sa tolérance envers les retardataires et j'étais à peu près sûre que la perspective d'une tempête ne serait pas considérée comme une excuse suffisante. Je n'avais qu'à mieux anticiper, aurait-il dit. Je réussis néanmoins à rejoindre ma salle de cours d'écogéographie pile à temps, bien qu'encore essoufflée du sprint que je venais d'effectuer. Je m'affalai sur mon siège, espérant passer inaperçue mais le professeur me lança un regard mécontent et ne put s'empêcher de commenter :

– Il était moins une, Sarah. Sortez vos affaires.

Je piquai un fard et baissai la tête sans rien dire. Malgré tout, j'étais satisfaite de moi, tout était en ordre pour affronter la tempête et je pourrai honorer mon rendez-vous à la recyclerie à midi pour y retrouver Yvy et compléter mon sac de voyage.

J'avais un peu l'impression que tout ce que j'entreprenais ces derniers temps tournait autour de mon départ prochain. Il fallait dire que c'était une opportunité unique dans la vie et personne ne voulait la laisser au hasard. Pendant un an, et un an seulement, j'allais avoir le droit de déroger à la sacro sainte règle des deux tonnes d'émission de CO2 maximum par an et de prendre l'avion pour partir à l'autre bout de la planète.

Pourtant, contrairement à la plupart de mes camarades, j'avais déjà pas mal voyagé avec mes parents. Je vivais à côté de la mer, mais j'avais déjà eu la chance de me promener en montagne et de voir de mes propres yeux des champs de lavande. Ce privilège n'était pas partagé par la plupart de mes camarades de classe, qui attendaient avec impatience mes récits en début d'année scolaire. J'étais donc moins novice que les autres sur ce point ; pour les autres, je me fiais à mon cursus scolaire.

En plus des cours traditionnels tels que les mathématiques ou la philosophie, on nous enseignait la cuisine et la survie. Nous apprenions ainsi ce qu'il fallait mettre dans une trousse de secours, comment lire une carte, comment trouver de l'eau et quelles plantes étaient comestibles. Je trouvais étrange que nos cours s'attachent plus à nous apprendre à survivre par nos propres moyens qu'à essayer de nous élever intellectuellement. Et lorsque je posais la question aux adultes, je m'entendais répondre que j'aurai tout le temps de m'intéresser à la théorie quand je serai à l'université, mais que d'ici là, je devais me concentrer sur ce que l'on m'apprenait si je ne voulais pas finir comme mon frère.