Les Pérégrinations [Anticipation]

Chapitre 2

Les vents se calmèrent dans la nuit et la tempête s'éloigna. Le bruit de mes volets qui essayaient de s'ouvrir m'avait empêché de fermer l'œil et je me levai plus fatiguée que je ne m'étais couchée.

Je décidai alors de modifier ma routine et d'aller me vider la tête en dévalant des pentes avec mon skate. J'aurais adoré aller surfer, mais après les excès de la veille, l'océan était devenu aussi plat qu'un lac. J'avalai des rubans de route en me sentant grisée par les sensations. Malgré tout, je devais faire attention car des branches cassées parsemaient mon parcours, comme autant d'obstacles à éviter ; il aurait été dommage que je chute et me casse un membre si proche de mon anniversaire. Je m'arrêtai face à la mer, et son odeur de marée secouée me remplit les narines jusqu'à l'écœurement. Au loin, le port s'animait avec l'arrivée des premiers bateaux ; la plage était vide de ses visiteurs habituels, mais couverte d'une variété de débris. La fin du monde n'était pas encore arrivée, mon petit monde avait survécu à une nouvelle tempête. Rassurée par cette vision, je me rappelai mon rendez-vous chez le médecin et me mis en route.

Il devait me vacciner contre toutes les maladies que je pourrais rencontrer pendant mon année de voyage et m'examiner pour décider si j'étais apte à partir.

À ma connaissance, personne n'avait jamais été interdit de partir : quand on tombait gravement malade, on était envoyé dans un centre de soin et quelque chose me disait qu'on ne passait même pas les tests. Mais pour autant, je ne faisais pas la fière dans la salle d'attente et mon cœur se mettait à battre à toute allure à chaque fois que je pensais à ce qui m'attendait.

En face de moi, des posters de prévention me rappelaient les gestes à tenir en cas de malaise ou les précautions d'usages à prendre dans un pays étranger. Les règles de base demeuraient essentiellement les mêmes d'une communauté à l'autre, mais à mesure que l'on s'éloignait de chez soi, les risques pouvaient varier considérablement. Chez moi, on craignait principalement les tempêtes en hiver et quelques vagues de canicule l'été. Dans d'autres on craignait les pluies diluviennes et les glissements de terrain. Alors que ces informations me paraissaient capitales, les affiches, elles, me semblaient vieillies, presque hors de propos, comme si elles avaient été créées à une autre époque et que quelqu'un avait trouvé amusant de les accrocher ici.

Au bout de ce qui me parut une attente interminable, mon tour arriva enfin et je franchis la porte des consultations d'un pas presque décidé. Puisque j'allais prendre l'avion pour m'envoler à l'autre bout du monde, ce n'était pas une petite visite médicale qui allait me faire peur.

– Bonjour Madame Lépand, asseyez-vous. Nous allons commencer par vérifier votre dossier. Est-ce que ces informations sont toujours exactes ? m'accueillit le médecin en me présentant un siège.

C'était un jeune médecin et d'une certaine façon, cela me rassura. Il était revenu de sa pérégrination quelques années auparavant et savait donc à quoi cela pouvait ressembler de nos jours. Je déposai mes affaires sur le dossier et répondis à un certain nombre de questions sur mon identité et mon passé, puis le médecin m'envoya me déshabiller dans la pièce d'à côté avant de le rejoindre au scanner. La machine m'observa de haut en bas, notant mes mensurations et les éventuelles blessures pour les faire correspondre avec ce qu'elle savait déjà de moi.

– Vous avez eu pas mal de fractures dans votre jeunesse, commenta le médecin, mais tout semble avoir cicatrisé correctement. Vous devriez cependant faire attention pendant votre année de pérégrination, je vois une certaine fragilité sur votre cheville gauche.

– Je fais du skate, j'ai l'habitude de me blesser. Mes chutes m'ont rendues plus résistantes que la moyenne, fanfaronnai-je en affichant une assurance que j'étais loin de ressentir, je suis probablement plus prête à la pérégrination que la plupart de vos patients !