La légende de la pierre

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— Nous y voilà, alors. C'est là que le monde magique doit apparaître ?

Il se tient à quelques mètres de la falaise. Les coups de vents lui emmêlent sa coupe en brosse, Annie s'approche de lui et lui prend la main.

— Tu attends avec moi, hein, papa ?

— Évidemment, enfin.

Il lâche du regard les brumes sombres qui recouvrent l'Atlantique pour regarder son petit bout de vie.

— Pourquoi je partirais ?

— Pour rentrer à la maison.

Elle tape du pied, lâche la main de son père et longe la falaise.

— On va trouver un gros rocher, avec un message indice dessus...

Paul fronce les sourcils.

— Ça aussi, c'était dans ton rêve ?

— Oui, grimace-t-elle en tentant d'ignorer le ton condescendant de son père.

— Bon... marmonne-t-il en faisant mine de l'aider à chercher.

— J'ai trouvé ! clame-t-elle. J'ai trouvé !

Les espoirs que nourrissait Paul s'écrasent en une lourde mélasse. Ce va-et-vient l'épuise. Ses espoirs, que ne comble pas le réel, lui sont un calvaire.

— Oui, oui, il y a une pierre, Annie.

— Mais regarde, papa, regarde, il y a des dessins, ça peut être une carte, non ? Ça vaut le coup de réserver un hôtel et de revenir vérifier tout ça demain.

Elle supplie, en fait. Mais il la voit dérailler.

— Bon, Annie, il faut que tu arrêtes, la magie n'existe pas, ton contne de fées non plus. Tes rêves...

Il hésite un instant en entendant sa fille renifler.

— Tes rêves, enchaîne-t-il pour tenter de la sauver, ce ne sont que la projection de ton esprit. Personne ne te parle d'un autre monde... ATTENTION !

Il l'attrape par le bras et l'arrache à la proximité du vide. La jeune fille s'écrase au sol en pleurant. Elle sanglote qu'elle ne risquait pas de tomber, qu'elle était loin du bord, mais Paul hurle, affolé et hors de lui, qu'elle respecte la règle des cinq mètres, ou que sinon ils rentrent directement sans discussion possible.

— Je sais que la magie ça existe pas, bougonne-t-elle après avoir repris une respiration normale et séché ses larmes.

Paul grimace.

— Alors qu'est-ce qu'on fait là ?

— On peut rentrer à la voiture ? J'ai froid.

— Tu roules vers où ? reprend-elle une heure plus tard.

— La maison.

Ses yeux braqués sur les cônes de lumière que plaquent les phares de la voiture, Paul sent bien qu'il a dit quelque chose qu'il ne fallait pas, qu'elle va se braquer à nouveau... mais bon. C'est la vérité. Ils ne vont pas risquer une crise d'hypothermie pour un caprice d'enfant.

— Tout ce dont tu nous parles, depuis des semaines, par rapport à la magie... tu savais donc que c'était faux, ça aussi ?

— Je t'en parle à toi. Pas à maman.

— Et pourquoi à moi, alors ?

— Parce que maman elle sort de la maison. Toi t'as tout le temps peur.

— Tu avais besoin de me traîner ici pour me dire ça, tu es sûre ? On aurait pu en parler à la maison...

— Toi tu aurais pu rentrer dans le jeu avec moi. Tu aurais pas payé plus cher.

Il retient un rire, en l'entendant réutiliser son expression.

— Et on aurait fait quoi, si on avait pris un hôtel à côté de ta pierre ?

D'imaginer tout cela, ces rêves qu'elle nourrissait elle aussi, de son côté, les larmes lui montent aux yeux.

— On aurait pu aller prendre un petit-déjeuner au bord de la plage, puis on aurait décrypté un message, et on serait allés ailleurs, après... Peut-être qu'on aurait interviewé les habitants pour savoir si ils ont déjà entendu parler de la légende de la pierre... On aurait fait une enquête, quoi.

Paul se mord les lèvres. À quoi lui servent ses dizaines d'années accumulées, si c'était pour oublier les basses mêmes de la vie : rire et imaginer.

Quand sa femme le voit arriver, elle s'étonne.

— Vous rentrez déjà ? Annie m'avait chuchoté que ça risquait de durer quelques semaines...

L'intéressée déboule de la voiture en criant :

— Vite papa, vite, le monsieur du restaurant nous a assuré qu'on trouverait la réponse dans la cave de la maison !

Elle s'arrête, sidérée d'une découverte qu'elle vient de faire.

— Vous rangez les vélos, dans la cave, non ?

Ses parents hochent la tête.

— C'étaient des vélos qui nous manquaient ! lance-t-elle en disparaissant dans la maison.

Paul sourit.

— On n'a pas encore fini notre enquête...

— Vous n'avez pas dormi dans la voiture, quand même ! s'étonne sa femme.

— On a dormi dans la voiture, le premier soir. Il était tard, et on était au milieu de nulle part. Et puis j'ai eu du mal à comprendre ce qu'elle voulait de moi, j'allais nous ramener à la maison. Par contre, on a pris notre pied, après. Quatre nuits, chacune dans des hôtels différents, des bons restaurants...

— Et l'enquête ?

— On l'avait oubliée, on y a repensé dans la voiture, on a bien rigolé, et on s'est arrêtés sur une aire d'autoroute pour interviewer des gens sur la légende de la pierre.

Nouvelle DimancheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant