Notre rencontre se fit autour d'une brouette. Nous étions âgées d'à peine 4 et 5 ans à l'époque. Par pur fainéantise et volonté de montrer son âge plus avancé, Harper était monté dans la cagette à roulettes en me priant de la pousser jusqu'à nos parents, qui étaient tous attablés autour d'une table de jardin à rire de bon cœur, des verres de cocktails printaniers parsemés sur le plateau en bois de la table. Cette même tablée que nous quittions toutes les 10 minutes pour aller s'inventer une vie, pour s'échapper de ses repas familiaux si interminables et indigestes pour deux aventurières qui avaient soif de passer le peu de temps accordé ensemble. Promenant les chatons de sa grand-mère dans une poussette, allant explorer la cabane du fond du pré clôturé, ou tout simplement s'essayant au jardinage dans le si grand terrain à notre disposition, nous passions le plus clair de notre temps à expérimenter tout ce qu'il y avait à expérimenter toutes les deux.
Le jardin de sa grand-mère était notre terrain d'exploration, et d'exploitation. Nous y avons tout découvert, tout exploré, et surtout tout expérimenté. Avec le temps, il est devenu notre repère. C'est là-bas que nous avons fait connaissance avec les quatre saisons qui gouvernent le monde. C'est dans ce même jardin que nous avons exploité nos forces physiques jusqu'à les épuiser, tentant de les dépasser pour courir quelques minutes supplémentaires. C'est dans cette étendue de verdure que notre imagination s'est développée, au fil des histoires que nous inventions et des aventures que nous vivions. C'est entre ses arbres que nous nous sommes racontées nos plus grands secrets, que nous avons partagé nos plus grandes peurs. C'est parmi ses feuillages que nous avons dansés à en prendre le souffle.
Ce jardin, c'était notre havre de paix, notre coin à nous. On s'y sentait en sécurité, on pouvait y être qui on voulait.
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Habitant à plus de 300 bornes l'une de l'autre, notre relation s'est construite petit à petit, au fil des séjours en famille organisés par nos parents. Les débuts ont été quelque peu plats, comblés de blancs et d'un manque d'histoire commune. Mais un déclic est vite apparu, et a définitivement transformé notre relation. Des fous rires et des confidences s'en sont alors suivis, et notre relation n'a fait que de se consolider avec le temps, se forgeant à l'aide de nombreux courriers – de lettres d'abord écrites à la main, puis tapées à la machine à écrire – ainsi que par les nombreuses rencontres, l'une chez l'autre à tour de rôle.
Alors quand j'ai appris qu'elle allait venir s'installer à Wandeermer pour parfaire ses études de journalisme, j'ai sauté de joie. Je m'imaginais déjà partager des soirées avec elle, l'une chez l'autre, à rire et à parler à en perdre la notion du temps – notre spécialité. Nous allions pouvoir vivre à quelques pas l'une de l'autre, et se voir comme bon nous semble, sans se soucier d'une organisation préalable. Et c'est ce que nous avons fait, maintes et maintes fois. Nous nous sommes rapprochées davantage, se confient l'une à l'autre, se racontant nos moindres secrets. Nous sommes devenues fusionnelles, complices, et surtout inséparables. Tout ce que l'une vivait, l'autre le vivait également. Tout ce que l'une savait, l'autre le savait également. Nous partagions tout, nos peines et nos pleurs, nos joies et nos rires. Nous nous connaissions mieux que quiconque. Nous vivions à deux, nous vivions pour nous deux.
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Je ne saurais l'expliquer. Le lien que nous entretenions était un lien sur lequel nous ne pouvons mettre un mot, poser une description. Ce lien, je le chérissais, et le chéris toujours, de toutes mes forces. Je voulais à tout prix l'entretenir, et le conserver tel quel, afin qu'il ne se détériore jamais. Je m'imaginais un futur où nous serions toujours aussi proches, à partager un bon nombre de moments familiaux, rassemblant la famille que j'aurais construite et la sienne. Je la voulais marraine d'un de mes enfants, et en bon terme avec mon futur compagnon. Je voulais qu'on ne se sépare jamais.
Mais la vie en avait décidé autrement, et rien n'aurait pu entraver ses décisions.
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- Je pars pour la base d'Arbington demain soir.
C'est là la raison pour laquelle Harper m'avait invité à prendre un café. Et c'est cette phrase qui marqua un véritable tournant dans nos vies, une nouvelle aventure, malheureusement bien loin de notre jardin adoré.
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Chère Harper
General Fiction- Je pars pour la base d'Arbington demain soir. C'est là la raison pour laquelle Harper m'avait invité à prendre un café. Et c'est cette phrase qui marqua un véritable tournant dans nos vies, dans ma vie.