La flemme.
C'est le weekend. Il est 11h43.
Peut-être qu'il devrait songer à se lever.
Derrière ses volets, il devine qu'il fait grand soleil. Que des enfants jouent en bas de l'immeuble, que le marché du quartier non loin bat son plein. Il entend les voitures passer à toute blinde, les fenêtres ouvertes, la musique à fond. Dehors, la vie grouille.
Son ventre gargouille, il n'a rien avalé depuis midi dernier. Ça fait deux jours qu'il songe à faire des courses. Il sait qu'il devrait sortir, se bouger un peu. Il regarde le plafond, la tâche brune d'humidité au coin qui ne cesse de grandir (du moins en a-t-il l'impression) et le bourdonnement du frigo lui fout mal au crâne. Il devrait se bouger pour trouver un taff, renouveler sa demande de bourse, confirmer à la caf qu'il garde son logement l'été...
Mais juste, la flemme.
Tout le paralyse, il ne peut plus bouger. Ça l'écrase, lui comprime les poumons, il a l'impression d'étouffer.
La seule chose qui l'obsède, c'est Carmen. Carmen. Carmen. Carmen.
Son nom en boucle toute la journée. Ses derniers mots tournent dans sa tête comme un disque rayé. Il veut juste boire une bière et fumer une clope pour ne pas y penser.
Son téléphone vibre, il s'en empare mollement. Lorsque l'écran s'allume, 1 message non lu.
Alors, il se lève d'un coup.
« Tu viens à la manif ? »
Il avait complètement zappé. Alors, il balance son téléphone sur son matelas en soupirant, et il décide de se lever pour de bon cette fois. Sans conviction, il cherche dans ses vêtements emmêlés un t-shirt pas trop sale, en trouve un noir triple xl qui traînait sur son bureau, l'enfile en vitesse et va donner un coup de pied dans le frigo. Le bourdonnement se stoppe net.
Soulagé, il ouvre la porte, la lumière l'éblouit, il avise la plaquette de beurre, la brique de lait de soja. Rien d'autre. Bon, il boit au goulot, une gorgée de lait. Ça lui suffira. Il part à la recherche de son fute, se brosse vite fait les dents, enfile ses doc's et son blouson. Direction la manif.
.
La chaleur est étouffante, et le soleil tape sur le boulevard bondé. Tout le monde est pourtant bien vêtu ; casquettes, sweats, lunettes. Jules crève de chaud sous son blouson noir et son passe-montagne remonté jusque sur son nez. En plus, le cortège n'avance pas des masses, et quelqu'un a allumé un fumigène dont la fumée stagne dans la foule ; ça pue ces trucs. Le monde se presse contre lui, ça sent la sueur et l'alcool partout, Jules se sent coincé, il attend l'appel d'air, il ne tient plus en place. Et puis... et puis... une rumeur remonte depuis l'avant, quelque chose se passe, ça frémit dans tout le cortège... Les sirènes retentissent. Ça y est. Comme un signal de départ, le cortège si soudé quelques secondes auparavant se retrouve complètement disloqué. Et là, pour Jules, c'est comme si tout s'arrêtait.
Des bouteilles éclatent, un feu est lancé quelque part, sans réfléchir, il aide à bouger du « mobilier urbain » comme on l'appelle si bien ; une palissade de chantier, des palettes, des pneus. Nous ne sommes rien, soyons tout, ça résonne en lui, il se fond dans l'action comme si son corps n'était plus qu'un outil, pour lancer, casser, brûler. Un automate, dont les pensées n'ont plus d'importance, il se fond dans la foule, ressent les frémissements, les gestes, de chaque personne qui l'entoure comme s'il était eux, comme s'ils étaient lui. Ses souvenirs disparaissent, ses pensées sombres aussi, il ne se sent plus seul, juste noyé, broyé dans l'émeute. Et déjà on lui file des stickers, il en colle un peu partout, fait un graff par-ci, un autre là-bas, continue de chanter, relaie quelqu'un à la banderole de tête, puis repart ramasser des bouteilles vides et remplir ses poches de débris... lorsque là, les flics lancent les premiers lacrymos, et que, dans la menace, il aperçoit quelqu'un.
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La bonne époque
Teen FictionJules passe son temps à traîner dans la pénombre d'un bar éreinté, où l'odeur du tabac froid s'insinue dans tous les plis de sa veste, et où la musique du tourne-disque s'égosille dans le vide, s'adressant à des fantômes obscurs qui ne sont plus là...