Chapitre 10

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— C'est bon ? Tout le monde est ready ?

— Il y a que moi, maman, me répondit Léon un poil excédé.

— Ouuuu et bien on est enthousiaste dis-moi.

— Non, mais maman, ça fait trois fois que tu fais le tour de la voiture. Tu es rentrée deux fois dans la maison de mamie pour vérifier que tu n'avais pas oublié je sais pas quoi...

— Mon chargeur de portable, chéri, c'est important.

— Oui, mais tu as fait tes valises hier non ?

Oui j'avais non seulement fait mes bagages, mais aussi passé une heure et demi dans la salle de bain à m'épiler, me faire toute sorte de masques et peint mes ongles couleur corail qui illuminait mon bronzage. J'avais ensuite pris une demi-heure à sélectionner rigoureusement mes habits et mon choix s'était porté sur un petit short rayé bleu et beige avec un débardeur vert émeraude, un peu large, que j'enfilais sans soutien-gorge. Il fallait que je sois le plus à l'aise possible dans mes vêtements pour vivre ces cinq heures de route. Et puis je ne croiserai pas Eliott Peckam avant la semaine prochaine. J'avais le temps d'apparaitre dans mes plus beaux atours, non pas que j'étais intéressée par l'idée de plaire au beau goss du cinéma... La lecture avec les acteurs n'était prévue que la huitaine d'après, afin de laisser à la production le temps de remanier les costumes, voir certaines scènes si mon expertise s'avérait essentielle. Pour ainsi dire, je n'étais vraiment pas sûre que mon avis ait une quelconque importance, après tout j'étais « stagiaire », même si j'espérais pouvoir parlementer à ce propos. La réussite de ce projet était mince, puisque c'était pour obtenir Sam qu'ils m'avaient engagé. On pouvait facilement penser que c'était surtout pour lui que je me retrouvais sur ce plateau. Alors la stagiaire qui voulait renégocier, on imaginait fort bien ce que ça pouvait donner. Mais bon, je devais amorcer cette négociation, car qui ne tentait rien et bien n'avait rien.

J'embrassai ma mère qui me souhaita bonne chance pour le tournage ainsi que.... pour la pêche ? Je l'observai sans comprendre. Elle se pencha vers moi d'un air conspirateur et me fit un clin d'œil, en ajoutant tout bas.

— Déploie tes filets, ma fille. Ce Eliott Peckam n'a aucune chance.

— Maman ! sursautai-je.

— Allez, on s'appelle, ma chérie. Soyez prudents sur la route.

Je hochai la tête, embrassai mon père et montai dans la voiture.

La chaleur ce matin était déjà accablante et la température de l'habitacle de ma twingo, où j'avais oublié de mettre le pare-soleil, tournait bien au-dessus de 40 degrés. Je transpirai déjà et ne manquai pas de me bruler les mains sur le volant qui en à peine deux heures d'ensoleillements était aussi bouillant qu'une plaque de vitrocéramique. J'ouvris la boite à gant, en sortis un petit chiffon et un spray d'eau que je passai sur mon volant. Ce n'était pas encore ça, mais c'était toujours mieux que de conduire avec le bout des doigts.

— Tiens, range-moi ça s'il te plait.

Je redonnai les affaires à Léon, qui était suffisamment grand pour se trouver sur le siège passager à l'avant, et démarrai la radio et la clim. Je grognai, aucune de ses fréquences ne méritait mon attention. Je déclenchai alors mon application de musique et un son latino retentit dans tout l'habitacle, conférant à ma petite voiture les accents d'une soirée latine endiablée. C'était une motivation supplémentaire et une excuse pour chanter, ou plutôt crier, des mots dans une langue que je ne maîtrisais pas totalement.

— Tu es bien attaché, chéri ?

— Oui ! Et toi, t'es prête pour l'aventure ?

Je le regardai, ce mini-moi, un sourire de gratitude plaqué sur mes lèvres. Son engouement affirmait le mien. Cet enfant était génial et c'était le mien.

— Si tu es prêt, je crois que je le suis aussi.

— Alors, appuie sur le champignon, maman ! On est parti !

Et au rythme d'une basse de dancehall et d'un chant espagnol, je lançai ma petite voiture sur les routes de campagnes avant de rejoindre l'autoroute, le cœur léger.

— Il reste encore longtemps, maman ?

— Et bien, vu que nous roulons depuis deux heures et que c'est notre première pause..., oui, il nous reste trois heures.

Je repris mon air blasé en croquant dans mon hamburger. Nous nous étions arrêtés sur une aire de repos afin de nous dégourdir les jambes et pour manger un bon fast-food. C'était plus que nécessaire, la route était chargée, ce qui mettait ma concentration à rude épreuve. Les nuggets à la sauce barbecue, et le cheeseburger que j'engloutissais me permettaient de diminuer mon stress de moitié. C'était une mauvaise idée que de se détendre par l'amoncellement de nourriture grasse, mon acuponctrice m'avait même certifié que cela me fournirait encore plus d'angoisse, mais qu'à cela ne tienne, je ne pouvais pas m'en empêcher. Nous prenions donc notre déjeuner et une demi-heure après nous étions repartis.

— Mais qu'est-ce qu'il fout au milieu ?! C'est pas croyable.

Oui, je pestai contre ces automobilistes qui monopolisaient la voie du milieu, déjà parce que je trouvai ça insupportable, mais aussi et surtout parce que je détestais me retrouver sur la voie tout à gauche. Mais là, ce véhicule allait m'obliger à le faire et je rongeai mon frein de colère. Heureusement que la pause advenait dans 20 minutes, j'arrivai à saturation.

Je marchai le long de la pelouse de l'aire de repos, observant les champs vallonnés peuplés de vache qui emplissait le paysage, rêvant de pouvoir fumer une cigarette. Mais ma règle première, à savoir ne pas fumer devant Léon, primait sur mon envie. Cela ne faisait qu'augmenter ma frustration, je devais bien l'avouer. Plus qu'une heure...

— Sam arrive quand, maman ?

— Demain, chéri, je vais le chercher à la gare.

— Je pourrai venir avec toi ?

— Et tu voudrais aller où si ce n'est avec moi ?, lui répondis-je avec un grand sourire.

Léon me sourit en retour. Samuel prenait un train de Lyon jusqu'à Nevers, ville la plus proche du lieu du tournage. On passerait la journée à flâner ensemble, histoire de découvrir les lieux de nos sorties pendant un an.

— Oh c'est pas vrai !

— Qu'est-ce qui se passe, maman ?

— La clim ! Elle a lâché. Arrrgh, j'ai oublié de la recharger avant de partir, je suis vraiment stupide.

— Maman, ne dis pas ça.

Je suai à grosses gouttes quand nous arrivâmes sur le lieu du tournage. J'ouvris la portière avec fracas et sentis mon postérieur coller au siège. Il manquait plus que ça ! J'étais tout échevelée et clairement de mauvaise humeur. Je pestai contre la chaleur, et me dirigeai vers le coffre. Je me penchai à l'intérieur. À ce stade, on devait voir mon derrière, mais à part les vaches qui pouvais-je faire fuir ?

— Hey ! Tout va bien ?

Je me relevai subitement, prenant la porte du coffre de ma voiture sur la tête, m'arrachant un cri de douleur loin d'être gracieux ainsi qu'un chapelé de jurons. Le coeur battant à l'écoute de cet accent typiquement anglais, je me retournai.

Enfer, et damnation, c'était Eliott Peckam.


Un pas à la foisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant