— Je suis stagiaire ! Sam !
— Oui, j'ai compris Asli, tu n'as pas besoin de me le répéter.
— Est-ce que tu réalises dans quelle situation je me trouve ?La chaleur que j'avais éprouvée en regardant les photos d'Eliott Peckam s'était transformée en douche glacée.
— Mais tu es quand même rémunérée...
— 800 euros par mois ! 800 pauvres euros pour subvenir aux besoins de mon fils ! Comment je vais faire ?! Comment je vais faire !Je m'arrachai les cheveux, me levai brusquement de la chaise et commençai à faire les cent pas dans mon appartement, rongeant mes ongles fraichement manucurés. Je sentais ma joie de changer de vie se transformer en cauchemar. J'avais manqué de faire une crise d'angoisse et je ne devais mon salut qu'à l'intervention de Samuel qui comme à son habitude avait réussi à gérer mon effondrement.
C'était d'ailleurs ainsi que nous nous étions connus. Nous étions en seconde au Lycée dans la plus grande ville de Drôme. J'avais senti mon souffle se tarir d'anxiété, quand mon mec de l'époque m'avait largué en plein cours de français pour sa voisine. Samuel était mon voisin de table grâce au plan de classe de notre professeur de littérature que je bénissais chaque jour de m'avoir fait rencontrer ma flamme jumelle. Car c'était bien de cela qu'il s'agissait, j'en étais convaincue, Sam était mon âme sœur. Pas celle des films où les deux héros finissaient ensemble. Non, c'était un véritable frère qui n'avait pas de secrets pour moi et qui me connaissait par cœur. Celui sur qui je pouvais toujours compter lorsque tout s'ébranlait autour de moi. Celui qui ne me quitterait jamais. J'étais sortie dans le couloir accompagnée par lui, et il m'avait tenu le discours le plus radical que j'avais désespérément eu besoin d'entendre à ce moment-là.
— Ce mec est un connard. Et tous les gars cisgenres hétéros sont des abrutis si tu veux mon avis. Et quoi ? Ça y est, il a vu une autre minette passer sur son chemin et comme le gros chat de gouttière qu'il est, il a pas pu s'empêcher de remuer la queue ? C'est pas un matou qui te faut ma beauté, mais un vrai chat du Bengale qui saura faire la différence entre une opportunité et la chance d'une vie. Et t'inquiète pas que toi, t'es bien la deuxième.
Je l'avais contemplée, estomaquée par cette tirade et avais éclaté d'un grand rire sonore qui nous avait valu un rappel à l'ordre par un surveillant qui se promenait dans le coin. Puis, il m'avait tendu la main, je l'avais attrapée avec un regard rempli de reconnaissance. Et depuis, je ne l'avais plus lâché. Autant lui que moi avions vécu notre lot de déceptions amoureuses, mais nous ne nous étions jamais laissé tomber. Il avait été là à l'époque où j'avais rencontré Madhi, avait été le premier à voir qu'il était fait pour moi, mais surtout, il avait été présent quand je l'avais perdu. Je ne pouvais pas omettre que Sam avait également éprouvé la peur de me perdre. Et je le voyais dans ses yeux quand mes heures sombres reprenaient le dessus sur moi. Car si j'avais aussi passé un sale moment après l'accident physiquement et émotionnellement, j'avais depuis, des épisodes de profonde dépression. Et voilà que mon meilleur ami, dans son rôle de frère jumeau bienveillant, tentait de m'apaiser.
— Écoute As, on va s'en sortir. 800 c'est pas beaucoup OK, mais tu ne paies pas de loyer, ton logement est pris en charge, ainsi que tous tes besoins.
— Et les vêtements de Léon ? Et les fournitures ? Et l'essence ? Et le crédit de la voiture ? Et l'assurance ? Mon Dieu ! Mon Dieu !Je pris mon visage entre mes mains, secouant la tête. C'était une catastrophe. J'avais abandonné mon poste, c'était trop tard. Émotionnellement, j'étais partie, y retourner, c'était échouer. Je ne voulais pas me dire que j'avais foiré.
— Je vais appeler le rectorat, on peut peut-être faire quelque chose.
Je sortis mon portable de la poche. Sam interrompit mon geste.
— Stop ! Arrête tes conneries ! Tu vas le faire ce « Stage » ! Il est hors de question que tu retournes au collège l'année prochaine. Je t'aiderai pour tout ce dont tu auras besoin. Et puis, peut-être qu'il y a moyen de parler avec la production. On verra quand on sera là-bas.
— Je ne veux pas que tu m'aides Sam.
— Tu n'auras pas ton mot à dire.
— Et puis, de toute manière, il faut que je signe le contrat puisque j'ai commencé le travail, alors la négociation est morte, si tu veux mon avis.
— Tu leur dis que tu ne parviens pas à l'imprimer où que ton ordi t'a lâché. Bref, tu commences à travailler sur les costumes. Tu leur renvoies une première ébauche, histoire qu'ils se rendent compte qu'ils ont besoin de toi et et hop, tu leur annonces le truc du P.C. qui marche plus.
— Tu es sûr ?
— Non, mais en vrai, on a pas grand-chose à perdre. Tu devras signer le contrat le jour de ton entrée sur le tournage donc tu verras à ce moment-là. Le but est de leur montrer que tu bosses quand même.Je hochai la tête. Un mince espoir naissait au creux de mon ventre. De toute manière que pouvais-je bien faire face à cette situation ? Refuser le stage quitte à regretter ? Non, ce serait trop dommage. S'il fallait que je sois stagiaire un an et bien soit. Je me débrouillerai.
— Je pourrai toujours créer un compte mym avec des photos de mes pieds, lançai-je
— Et en voilà une bonne idée ! En plus, tes pieds sont si hot !
— Mon Dieu, Samuel. Ta place...
— Est en enfer avec Lil Nas X, I know it, baby.Il m'adressa un clin d'œil aguicheur, et je ne pus réprimer un fou rire, qui prit rapidement le contrôle de mon corps.
— Pourquoi tu ris, maman ?
Léon, qui était parti jouer dans sa chambre avec ses playmobils châteaux forts, était revenu voir ce qu'il se passait dans le salon et surtout s'enquérir de ce qui pouvait bien faire pleurer de rire sa mère.
— Rien, mon chéri. Sam dit des bêtises.
— Pourquoi tu as parlé de Madame Mym ?
— Madame Mym ? m'empourprai-je
— Mais oui, la sorcière dans Merlin l'enchanteur !
— Ah oui, pourquoi tu as parlé de Madame Mym, Asli ?Je jetai un regard noir à mon meilleur ami qui se mordait les joues pour ne pas ricaner.
— Je ne sais pas pourquoi j'ai parlé d'elle. Je ne m'en souviens plus.
Il fronça les sourcils, conscient que je ne lui disais pas du tout la vérité. Je me retenais aussi faiblement de rire que Sam. Voyant que le petit semblait ne pas vouloir lâcher le morceau, je changeai de sujet, et j'annonçai :
— Bon, pizza dehors ce soir ? Vu que j'aurai bientôt plus d'argent, autant profiter des derniers instants.
Oui, entre la cigale et la fourmi, j'étais clairement une cigale. Faire des économies ? Oui, cela aurait été la solution la plus responsable. Mais bon, je ne pouvais pas refuser une pizza de mon pizzaiolo préféré.
— Ça va pas ! C'est moi qui invite ! insista Sam.
— OUIII ! cria Léon, son regard pétillant, oubliant son interrogatoire aussi rapidement qu'il avait commencé.
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Un pas à la fois
Chick-Lit(A PARTICIPÉ AU CONCOURS "Comme dans un film" SUR FYCTIA) Asli est professeur d'histoire-géo dans un collège de banlieue. Elle élève son fils de dix ans, seule, depuis que la mort s'est installée dans son existence cinq ans auparavant. Alors qu'elle...